[Biotech] Cancer
Interview de Aïda Meghraoui-Kheddar, Fondatrice & CEO d’AMKbiotech.
By Pascale Caron
Docteure en pharmacie, Aïda a parfait sa formation avec un master et un PhD en immunologie qu’elle a obtenu en 2015. Après dix années dans le monde de la recherche académique en France et aux états unis, elle crée AMKbiotech à Sophia-Antipolis, fin 2021, avec pour objectif d’accélérer la recherche médicale et le développement de nouveaux traitements.
Peux-tu nous parler de ton parcours et de ce qui t’a amenée à faire de la recherche ?
Pendant mes études de pharmacie, j’ai très rapidement su que je voulais faire de la recherche dans le domaine des sciences biologiques. J’étais captivée par les interactions hôte-pathogène, où comment un parfait équilibre peut se transformer en lutte destructrice. J’ai décidé ensuite de faire un master en sciences. Au début j’étais plus intriguée par l’agresseur, que par l’agressé. Les micro-organismes qui nous entourent et avec qui on coexiste, sont des entités fascinantes dotées d’une capacité d’adaptation et de survie inouïe et inspirante. J’ai poursuivi mon parcours avec un doctorat : je me suis orientée vers l’étude de la réponse immunitaire, ou comment notre corps œuvre sans relâche pour maintenir son équilibre interne face à l’environnement qui l’entoure.
Constantine, Rouen, Paris, Reims, toutes ces facs ont satisfait ma soif d’apprendre. Après ma thèse, j’ai entrepris plusieurs stages postdoctoraux en tant que chercheure. À Paris, à l’Institut Pasteur et l’Inserm (NDLR. Institut national de la santé et de la recherche médicale), je me suis prise de passion pour les technologies innovantes qui nous permettent de repousser les limites de la science. La bio-informatique, m’a fascinée pour l’analyse des données que cette technologie produit. J’ai alors mis en place une collaboration avec un laboratoire de l’université Vanderbilt à Nashville aux états unis, expert en analyse de données dites de haute dimension. Grâce à cette expérience, j’ai acquis des compétences qui sont à la base de mon aventure actuelle.
J’avais donc entamé cette carrière de chercheure dont j’ai rêvé, que j’ai poursuivi au CNRS (NDLR. Centre National de Recherche Scientifique) à Sophia-Antipolis, ou j’ai participé à des études cliniques de lutte contre le cancer. En France, le cancer représente la première cause de mortalité chez l’homme et le 2e pour la femme. Dans le monde sur dix personnes, deux vont développer un cancer au cours de leur vie et une des deux n’y survivra pas. Des traitements existent, mais ils ne sont pas assez efficaces. La recherche avance, mais pas assez vite. Face à ce constat, je me suis rendu compte qu’en tant que chercheure j’avais besoin de faire plus et pour cela il fallait que je fasse différemment. La recherche doit servir notre quotidien, elle doit l’améliorer, elle doit sauver des vies. La voie sur laquelle je me trouvais ne me permettait plus de garder cet objectif en ligne de mire. J’ai décidé de créer ma voie : je ne voulais plus subir les contraintes et m’imposer des barrières, je voulais faire autrement. Je souhaitais valoriser mon expertise accumulée en 10 ans et en faire profiter 10, 100, 1000 projets. Mais pour cela, je devais créer mon propre laboratoire, lever des fonds, car cela nécessite énormément d’argent : les machines, le matériel, les réactifs, tout coute cher.
Comment as-tu décidé de créer ton entreprise ?
L’aventure s’est concrétisée lorsque j’ai rencontré Caroline Dumond et « Les Premières Sud » en mai 2021. J’ai appris à construire mon projet, à le positionner par rapport à la concurrence et à faire un business plan, pour trouver les financements. J’ai eu la chance de croiser des gens qui m’ont aidée, et rares sont ceux qui m’ont dit « tu ne réussiras pas ». J’ai sollicité les banques et j’ai pu obtenir un prêt.
Mon projet est basé sur la prestation de service. AMKbiotech est un laboratoire fournissant un service unique d’imagerie, hyperparamétrique clef en main aux différents acteurs de la recherche biomédicale pour accélérer le développement de leurs projets.
Nos clients sont des laboratoires de recherche publics ou privés, des biotechs, des CROs (NDLR. Société de Recherche contractuelle en français), qui bénéficient de l’accès à une technologie innovante sans la contrainte financière de son acquisition ni la perte de temps de sa mise en place. Nous leur proposons un service personnalisé adapté à leur besoin. Nous leur permettons d’optimiser l’analyse des échantillons rares et précieux en mesurant plus de 40 paramètres simultanément et en un temps record. Nous utilisons des outils informatiques pour exploiter de façon exhaustive les données mesurées et coller au mieux à leur demande. C’est du sur mesure.
Nous sommes installés au Bioparc de Sophia-Antipolis. Je suis entourée d’une docteure en immuno-oncologie et d’une technicienne en biologie. Nous avons une collaboration avec des biologistes et des mathématiciens de l’INRIA pour développer à terme nos propres outils d’analyse.
Dans cette aventure je suis multicasquettes : à la fois l’experte, l’entrepreneure, la gestionnaire, la scientifique, mais aussi la commerciale ! J’utilise mon réseau pour nous faire connaitre. Plusieurs personnes nous ont contactés grâce à mes publications. J’interviens régulièrement dans les congrès et séminaires pour expliquer que l’on peut faire différemment et même mieux.
Quels sont tes futurs challenges ?
C’est bien sûr de rendre AMKbiotech visible à plus grande échelle et notamment auprès de l’industrie pharmaceutique. Présenter le potentiel des technologies innovantes que nous utilisons dans les essais cliniques. Montrer qu’un service innovant et performant n’est pas forcément plus onéreux. Je prospecte déjà en dehors des frontières, en Allemagne et aux États unis. À plus long terme, mon objectif est de croître en technologies et en champ d’action. Notre ambition est de devenir un CRO afin d’effectuer des études cliniques à plus grande échelle.
Quelles sont les personnes qui t’ont inspiré dans ta carrière ?
Quand, j’étais jeune, mes parents m’ont montré l’exemple. Ma mère, maitresse de conférences à l’université, m’a transmis l’amour de la recherche, la curiosité, la volonté d’aller plus loin et de ne jamais s’avouer vaincue. Du côté paternel, j’ai puisé la détermination de l’entrepreneur, la passion et l’investissement dans chaque projet, la capacité à résoudre les problèmes, la force de rebondir en toutes circonstances. Il a un bureau d’étude en architecture et j’ai grandi entre les tables à dessin et les rendus de projets !
Aurais-tu un livre à nous conseiller ?
Très jeune, j’ai lu « L’Alchimiste » de Paulo Coelho. La rencontre de ce personnage dans le désert, nous enseigne l’écoute de son cœur, à traduire les signes du destin et, à aller au bout de ses rêves. Je m’y suis replongée à plusieurs années d’intervalle et j’invite chacun à faire de même. Il nous apporte une philosophie de vie et une acceptation des événements bons ou mauvais qui aide à avancer.
Quel est ta devise ou ton mantra ?
Je dirais, « Ne jamais s’arrêter », et par-dessus tout, « Ne pas laisser les autres nous fixer des limites ». On pourra toujours trouver des ressources en nous pour aller plus loin. Je me souviens d’une phrase que mon directeur de thèse avait prononcée lors de la cérémonie. Elle me résume bien : « Aida, quand on lui ferme la porte, elle entre par la fenêtre. C’est agaçant, mais c’est ce qui fait sa force. N’arrête jamais ».
[Innovation] et Art
Interview d’Emmanuelle Rochard dirigeante de RHD-Conseil.
By Pascale Caron
Emmanuelle apporte créativité, et leadership aux entreprises qu’elle accompagne en optimisant leur communication, affinant leur image de marque et en construisant des stratégies marketing innovantes et responsables.
Mais si on creuse plus avant, Emmanuelle est une personnalité complexe qui cumule les dons artistiques et les dons d’elle-même. Elle est tour à tour imagière pour le Carnaval de Nice, mais aussi sapeur-pompier, professeure à UCA, intervenante dans les lycées auprès de 100 000 entrepreneurs.
Nous nous sommes rencontrées lors d’un déjeuner qui rassemblait les marraines INEDIS, dont je fais partie, et j’ai été fascinée par son enthousiasme et son hyper activité qui est digne d’une Wonder Woman… Cela ne vous rappelle pas quelque chose ?
Peux-tu nous parler de ton parcours ?
Est-ce que tu te souviens de tes rêves quand tu étais jeune ? Moi en primaire, j’étais fan de Lara Croft. Je voulais être astronaute ou archéologue, et cela m’a poussée au collège à faire latin pendant trois ans tant j’étais persuadée de mon rêve !
Puis il a fallu se résoudre à trouver de vraies idées de métier. J’ai donc fait le bilan de ce que j’aimais et à l’époque j’ai choisi le cinéma et les animaux. J’en ai conclu que je serais dresseur animalier dans l’audiovisuel. En parallèle de mon bac littéraire arts plastiques, j’ai par conséquent fait des études de comportementalisme animalier. Finalement la seule chose que j’ai tirée de cette expérience c’est d’avoir un chien particulièrement bien éduqué, car il est très difficile de faire son trou dans ce domaine.
Après mon bac en réfléchissant à ce que j’aimais j’en ai conclu : les voyages et les dessins artistiques. J’ai donc décidé de devenir directeur artistique dans la publicité, pas du tout dans le luxe ou la beauté, mais dans la sensibilisation pour changer la mentalité des gens. WWF, Unicef, médecins sans frontière, voilà les causes qui m’animaient. Mais quand j’ai commencé mes études à l’Institut Supérieur des Beaux-Arts de Besançon à 17 ans on m’a vite fait comprendre que le milieu de la publicité était un sacrilège. J’étais partie à 700 km de chez moi pour m’entendre dire que la voie que j’avais choisie n’était pas la bonne ! J’ai quand même fait 5 ans d’études en mettant de côté mes rêves.
C’est une des raisons qui m’a poussée à élargir mon programme Erasmus pendant un an et demi à 21 ans, en faisant un tour du monde. J’ai commencé par l’Australie où j’ai élevé des chevaux, puis Dubaï, Québec. J’ai étudié le Carnaval de Rio au Brésil. J’ai fait un stage avec un photographe aux Canaries. Je suis allée à Londres, à Prague.
Cette expérience m’a permis de découvrir qui j’étais, et comprendre l’importance d’écouter son instinct. Pendant ma période de collège, j’avais été harcelée pendant 3 ans. À cette époque je me sentais en décalage et j’en avais conclu que c’était ma faute, que je le méritais, car je ne correspondais pas au modèle de toutes les autres filles. En me retrouvant face à moi-même à l’étranger dans des moments vraiment difficiles où ma vie a été quelquefois en danger, j’ai appris à me faire confiance en comprenant mes qualités et mes défauts.
Quand je suis rentrée en France, j’ai fait une grosse déprime doublée d’une crise identitaire. Je suis retournée aux Beaux-Arts, mais sans savoir quel métier va pouvoir satisfaire à la fois mon envie de création et de voyages.
J’obtiens mon master et puis j’ai eu envie d’autre chose. J’ai voulu développer le côté leadership, travailler en équipe et je suis rentrée à Polytech en master de management de projets innovants. J’ai fait un énorme grand écart en me retrouvant dans un environnement très carré et orienté processus. J’ai pu comprendre que la capacité d’avoir des idées créatives était un atout en entreprise.
Je me suis ensuite intéressée au monde de l’informatique et c’est comme cela que j’ai rejoint une grosse société, Sopra Steria. J’avais atteint une sorte de Graal, avec le statut de manager ingénieur et un bon salaire. Je supervisais 90 sous-traitants, sur des budgets globaux de plusieurs millions d’euros. Je voulais améliorer le quotidien des équipes et faciliter leur résultat. Mais au bout d’un an mon corps a dit stop et j’ai fait un burnout, car je n’étais pas en adéquation avec qui j’étais vraiment. Je m’ennuyais terriblement, et je me suis rapidement rendu compte que l’administratif prenait le pas sur la créativité. Je n’étais pas en phase avec les valeurs de ma hiérarchie et je les ai alertés sur certains risques psychosociaux. Finalement je les ai vécus personnellement. J’ai donc fait une rupture conventionnelle à 26 ans et je me suis reposé la question « qu’est-ce que tu veux vraiment ? Est-ce que l’argent fait tout dans la vie ? ».
C’est-ce qui t’a poussée à créer ton entreprise ?
Ce qui m’animait c’était la créativité, l’innovation et le leadership. J’ai repris ma liberté et les statuts de la société que j’avais co-fondée avec ma mère en 2013.
Mon tout premier client était la famille Povigna, 5e génération de carnavaliers de Nice, quelques semaines avant le confinement. Ils voulaient utiliser mes compétences de communication, marketing et management pour les accompagner au développement de leurs activités et également contribuer à la partie artistique en dessinant les chars et les costumes. Il faut préciser que mon sujet de master aux Beaux-Arts était « les carnavals du monde », ce qui m’a poussé à me rapprocher d’eux à mon retour en France en 2018.
La Covid m’a obligée à trouver de nouveaux contrats sur la gestion de projet, le conseil, la formation, le management.
En 2018, je suis devenue professeur vacataire à l’université de Nice. Depuis 2 ans j’anime un cours de management de projets innovants et créatifs, en Master 1 avec une méthodologie basée à 70 % sur la pratique et à 30 % sur la théorie. Cette expérience m’a fait découvrir ma mission et mon pourquoi. L’enseignement me permet de changer les choses en formant les managers de demain à la source et en les aidant à évoluer vers le leadership responsable.
Mais il arrive qu’ils soient déjà formatés : c’est pour cela que j’interviens aussi dans les lycées et collèges pour 100 000 entrepreneurs, où j’ai formé plus 500 adolescents en un an. Je contribue également à des associations de lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travers de formation de sensibilisation pour les jeunes. J’ai ensuite imaginé avec un organisme partenaire, un programme de coaching pour les adolescents pour les aider à dépasser leurs obstacles personnels et professionnels.
Après la covid, j’ai pu reprendre mes activités d’origines avec les carnavaliers et je suis devenue Imagière du Carnaval de Nice. Cette année, j’ai aussi dessiné plus de 12 costumes pour les troupes d’animation et participé à la fabrication des chars et costumes. Ma collaboration avec eux est vraiment passionnelle, à tel point qu’ils m’ont pratiquement adopté au sein de leur famille.
Et comment es-tu devenue sapeur-pompier ?
Avec les carnavaliers, nous avons créé la mascotte DéfibrillaThor du Service Départemental d’Incendies et de Secours du 06 pour sensibiliser aux arrêts cardiaques. Je les ai accompagnés au niveau de la communication digitale sur le lancement de cette mascotte. En même temps, la caserne de pompiers de mon village recherchait des volontaires. Malgré beaucoup d’aprioris et une vieille phobie du sang, j’ai écouté les signes et je me suis engagée. Aider les gens fait partie de mon leitmotiv quotidien. Et vous n’allez pas me croire, mais du jour au lendemain, lorsque je l’ai décidé mon appréhension a disparu. Au final, nous posons nous-mêmes nos barrières.
J’ai passé un entretien, des épreuves physiques, suivi la formation et c’est comme cela que je suis devenue Sapeur-Pompier ! Dans la foulée, je suis également devenue photographe reporter et formatrice sur les arrêts cardiaques. La boucle est bouclée.
Comment mènes-tu tout de front ?
Je double mes activités. Quand je suis de garde, j’en profite pour m’atteler en parallèle à une autre tâche. Le fait que je m’ennuie rapidement a longtemps été une contrainte, mais cette hyper activité me permet de faire ce qui m’anime. Je bosse 80 h par semaine sans avoir l’impression de travailler. Je me sens tel un Quetzal, cet oiseau du Guatemala qui meurt en cage, j’ai besoin de liberté. J’ai mille et une vies, comme le disent mes amis et je les vis pleinement.
Quels sont tes prochains challenges ?
Ils sont à la fois financiers et artistiques.
En faisant le bilan, je me suis rendu compte que parmi toutes mes activités, celles qui m’animaient le plus c’étaient celles auprès des jeunes, car elles m’apportent plus de sens et d’épanouissement. Malheureusement, ma passion n’est pas rentable. Il me faut développer des revenus qui fonctionneront sans moi. C’est pour cela que je m’intéresse aux investissements immobiliers afin de pouvoir vivre de cette activité.
Je voudrais poursuivre une vraie carrière artistique en surfant sur la visibilité que j’ai pu acquérir avec le carnaval de Nice. Il est temps d’accueillir enfin mon talent en créant une boutique en ligne dans la photo et le dessin.
Quelles sont les personnes qui t’inspirent ?
J’ai deux mentors, le premier c’est l’ancien directeur du Carnaval de Nice, Christian Alziary qui a cru en moi et m’a accompagnée avec une extrême générosité. Il m’a fait prendre conscience de la manière dont j’avais envie d’être traitée.
La deuxième est Carly Abrahamovic est un modèle pour moi. Elle est mère seule avec deux enfants et a monté une entreprise dans le conseil — CA Consulting Group, à plusieurs millions d’euros et une cinquantaine de consultants. Elle a fait partie de mes premiers clients. C’est une Américaine qui a débarqué en France il y a de nombreuses années.
En conclusion aurais-tu une devise ou un mantra ?
Je me le répète souvent en ce moment « Si tu n’aimes pas ce que tu récoltes aujourd’hui, pose-toi la question de ce que tu as semé hier ». J’ai semé pendant deux ans pendant la Covid et je suis heureuse de ma récolte.
[Galerie] d'art
Interview d’Hélianthe Bourdeaux-Maurin, Directrice et Fondatrice de « H Gallery » à Paris.
By Pascale Caron
Historienne d’art, elle est diplômée de l’École du Louvre, titulaire d’un Master 2 à la Sorbonne et d’un Doctorat d’histoire de l’art. Après huit ans à New York et 6 ans à la Pinacothèque de Paris (Paris et Singapour), elle ouvre « H Gallery » à Paris en 2016, avec deux associés.
Depuis 2001, elle a monté ou participé à plus de 150 expositions, conseillé des institutions et des collectionneurs tant particuliers que publics. Elle a travaillé avec plus de 400 artistes vivants, musiciens, danseurs et commissaires d’expositions internationales. Elle a collaboré avec des centaines de musées, aux États-Unis, au Canada, en Europe, en Inde ou en Afrique. « H Gallery » fait partie de Paris Gallery Map depuis 2019 et du Comité Professionnel des Galeries d’Art depuis 2017.
Peux-tu nous parler de ton parcours et de ce qui t’a amenée à fonder H Gallery ?
C’est une histoire étonnante, faite de rencontres extraordinaires. Depuis mes 15 ans, je rêve d’organiser des expositions et de découvrir des talents. Je viens d’un milieu artistique avec une mère Professeure de Lettres et surtout un père acteur, écrivain et metteur en scène. Ma sœur et moi avons su très tôt, bien avant #metoo, que le monde du cinéma n’était pas recommandable pour les filles, et nous ne nous sommes pas engagées dans cette voie. Ma sœur était une vraie artiste, moi j’avais juste la volonté de les comprendre et de les faire émerger.
Pour cela, je pensais qu’il fallait être conservatrice de musée, mais je voulais tester si cette profession était réellement faite pour moi. À cet âge rien ne nous arrête, on imagine que tout est possible. J’ai téléphoné avec audace au Petit Palais pour avoir un entretien avec son directeur, Gilles Chazal. Le plus incroyable c’est qu’il a accepté. Il m’a ouvert les yeux avec justesse et honnêteté pendant deux heures sur le métier, les recherches de financement et le côté politique. Il m’a guidée vers des études à l’École du Louvre. À la fin de l’entretien, il m’a demandé ce que j’en pensais. Je lui ai répondu que c’était exactement le métier que je voulais exercer. Il m’a dit : « Alors peut-être qu’un jour vous me succéderez ?! » et avec la fougue de la jeunesse, je lui ai rétorqué : « Non, moi je veux le Grand Palais ! ». Il a éclaté de rire. Nous sommes restés en contact depuis 25 ans. Il a toujours suivi mon parcours, a été le premier visiteur de ma galerie avec son épouse, et aussi mon premier acheteur !
10 ans plus tard, je faisais ma thèse sur Alain Kirili, un sculpteur franco-américain sous la direction de Serge Lemoine, directeur, successivement, du Musée de Grenoble et du Musée d’Orsay. Grâce à lui j’ai pu participer à des expositions importantes et écrire très jeune dans des catalogues : « Soulages », « L’Art Concret », « Les Abstractions américaines ». J’ai aussi eu la chance de rencontrer à l’époque le galeriste Éric Dupont dont l’éthique fut un modèle pour moi. J’ai aidé Alain Kirili pour son projet de sculpture contemporaine aux Tuileries, mais aussi participé aux montages de ses expositions.
En 2001, Alain décida de collaborer avec des danseurs et des musiciens américains, mais aussi africains : une troupe de danseurs contemporains de la tribu des Dogons. Je m’implique au point qu’il me propose d’aller à Bamako pour organiser des spectacles et des expositions avec lui. J’ai eu l’immense privilège de côtoyer le peuple des Dogons au quotidien et de vivre dans leur village sur les Falaises de Bandiagara. J’avais établi une telle proximité qu’à la fin de mon séjour le Conseil des Sages s’était réuni et m’avait attribué une place dans leur tribu. Ils m’ont fait un grand honneur en me donnant le nom de Ya-Kena, « celle qui sait voir et celle qui sait mettre la joie et l’harmonie autour d’elle ».
Lors de ce périple, sur une pirogue à côté de moi, il y avait un milliardaire américain qui était invité au voyage. Un homme brillant qui avait notamment créé une fondation, « ART OMI », pour soutenir des artistes, des écrivains et des architectes. Il organisait des résidences d’artistes au nord de New York et me proposa, pendant un été, de m’engager comme directrice adjointe.
J’ai vécu une expérience extraordinaire : j’arrivais à 24 ans aux États-Unis dans un univers complètement différent. Je suis d’origine scandinave et dans le microcosme parisien ma chevelure blond platine et mon côté « bimbo » me desservaient : trop jeune, trop jolie. Aux États-Unis, rien de tout cela, ils voyaient au-delà des apparences et saisissaient seulement mon potentiel. Dans cette fondation, notre rôle était de mettre en relation les artistes en résidence avec les journalistes, les critiques d’art, les galeristes. Cette expérience m’a permis de m’immerger dans le monde de l’art new-yorkais. Comme toute aventure d’été a une fin, je retournais en France pour toucher du doigt mon but, le concours de conservateur de musée !
Nous étions 1200 étudiants à nous présenter et uniquement 49 admissibles, dont j’ai fait partie. Mais au bout du compte, seulement 3 postes avaient été ouverts et je n’avais pas été choisie. Ce but m’avait porté toute mon adolescence et, soudainement, tout s’écroulait.
Rentrée chez-moi, en larmes, je reçus un appel de Francis Greenburger, le milliardaire américain qui venait aux nouvelles. Je lui expliquais ma déconvenue, il me répondit « Escape the system! ». C’est la dernière parole dont je me souviens avant de me retrouver aux USA. Je savais, bien sûr, que son rôle s’arrêterait là et que je devrais me débrouiller toute seule, mais son impulsion fut primordiale.
Mes parents n’étaient pas fortunés, mais ils m’ont fait confiance et m’ont laissée partir avec mon visa de touriste et mes valises remplies de soupes lyophilisées à la recherche d’un job. J’étais stagiaire dans la journée pour des projets formidables, comme, par exemple « The Revival of the Hudson River Valley through Art ». J’ai participé à la réalisation de « Robert Smithson’s Floating Island » autour de Manhattan avec Diane Shamash et son organisme, Minetta Brook. J’ai travaillé également à Art in General avec Holly Block.
Le soir, j’écumais les vernissages pour rencontrer des gens, des amis et me créer un réseau… J’en faisais 40 par semaine en distribuant des cartes de visite bleu turquoise (mes goûts se sont affinés depuis !), imprimées sur Vistaprint. J’espérais travailler dans les musées, mais les salaires pratiqués de m’auraient pas permis de vivre à New York.
J’ai atterri dans le monde des galeries après avoir rencontré Michael Steinberg à l’Armory Show. Il prit ma carte en me disant « je vais t’aider ». Venant de France, je n’arrivais pas à y croire, mais il m’avait regardé droit dans les yeux, comme s’il devinait ce que je pouvais devenir.
Il m’invita 15 jours plus tard chez lui, à une fête où je découvris le gotha de l’art avec un grand A, celui que j’ai fréquenté ensuite pendant presque 10 ans. C’est là que j’ai fait la connaissance d’un ancien producteur d’Hollywood, le meilleur ami d’Emma Thompson qui venait d’ouvrir une galerie sublime à Chelsea. Quand il m’a proposé le job de directrice de Spike Gallery, le lendemain, je me suis rendu compte que j’avais passé mon entretien d’embauche lors de la soirée, sans le savoir.
Ma carrière de galeriste était lancée. J’y ai fait mes classes et ai organisé des expositions qui ont rencontré immédiatement du succès auprès de la presse new-yorkaise. Ce fut une période amusante, Steve Martin ou Sean Connery faisaient partie de nos collectionneurs et nous avons montré des œuvres de Shirin Neshat, mais également de Martin Mull ou d’Annie Lennox !
Pendant plus de huit ans à New York, j’ai été à la tête de plusieurs galeries d’art moderne et contemporain. J’ai travaillé pour Spike Gallery, Peter Freeman, Inc. qui était spécialisé à l’époque dans l’Art minimal et le Pop Art. Nous participions notamment à Art Basel et vendions fréquemment des œuvres aux grands musées américains. Puis j’ai rejoint Parker’s Box à partir de 2005. J’ai parallèlement contribué régulièrement à « Whitewall Magazine » que des amis venaient juste de créer et pour lequel j’ai pu interviewer Paloma Picasso, Joachim Pissarro, Fabrice Hergott ou François Pinault.
J’ai été également commissaire d’exposition indépendante. Mes activités ont été commentées tant par le « New York Times » que par « Art in America » ou « New York Magazine ». J’ai représenté des artistes aussi variés que Joyce Pensato, Édith Dekyndt, Bruno Peinado, Virginie Barré, Simon Faithfull, Mel Bochner, Alex Hay ou Helen Mirra. J’ai vendu des œuvres d’Édith Dekyndt au MoMA à New York et à l’Albright Knox Gallery. Cette dernière fut présentée en 2017 à la Biennale de Venise. J’ai également longtemps représenté Joyce Pensato qui fut ensuite reprise par Friedrich Petzel à New York et la Lisson Gallery à Londres.
C’est chez Parker’s Box, créée par l’artiste et curator Alun Williams à Brooklyn, que j’ai vraiment pu défendre avec plus d’ampleur des artistes contemporains internationaux. J’ai pu le réaliser à travers des foires internationales et notamment deux participations à la FIAC où nous avions vendu des œuvres à LVMH ou au fondateur de Zadig et Voltaire. C’est dans cette galerie que j’ai découvert le goût d’avoir mon propre endroit.
Lorsque notre « silent partner » nous avait lâchés, nous avions décidé de tenter l’aventure sans financement extérieur et nous avions réussi !
Cette confiance accumulée m’a finalement donné l’envie de fonder ma galerie des années plus tard.
Finalement tu rentres en France ?
En 2009, mon père mourut et je rentrai en France définitivement en 2010. Quand on est dans un moment de faiblesse, on peut tomber sur des prédateurs et c’est ainsi que, sans le savoir, je décide d’en épouser un…
En France je redécouvre un milieu de l’art beaucoup moins ouvert et généreux qu’à New York, où il est très difficile de se faire une place. De guerre lasse je lance un jour à mon meilleur ami : « Trouve-moi un job ! ». Lui qui n’était pas du tout de ce monde se rappelle soudain qu’il était l’expert-comptable de l’architecte de la Pinacothèque de Paris !
Il me met en contact avec Marc Restellini, historien d’art et businessman qui cherchait justement une nouvelle directrice des expositions. La Pinacothèque c’était 5000 m2 à Paris et la même chose à Singapour. J’ai été chargée des expositions dans ces lieux merveilleux pendant 6 ans. J’ai obtenu des prêts de la part des plus grands musées internationaux : le MoMA à New York, l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, les Beaux-Arts de Budapest, le Musée Archéologique de Mexico… J’y ai organisé avec Marc Restellini 36 événements d’envergure. Tant sur l’art ancien (Les Romanov et les Esterhazy, Van Gogh, Hiroshige, Léonard de Vinci), que sur de l’archéologie (les Masques de Jade Mayas, l’art indien).
J’ai orchestré la dernière rétrospective de Chu Teh-Chun. Je l’ai rencontré ainsi que sa famille et ai visité son fabuleux atelier à Vitry-sur-Seine. L’exposition fut un tel succès que nous l’avons prolongée et je lui ai rendu ses œuvres la veille de sa mort. C’était très émouvant. J’y ai organisé également des expositions sur l’art moderne et contemporain : « Expressionnismus : Brücke vs. der Blaue Reiter », « Giacometti et les Étrusques », et sur le Graffiti Art : « Pressionnisme ». Pendant l’exposition sur Van Gogh, nous avions atteint le milliard en valeur d’assurance. J’étais entourée de sécurité privée, de policiers armés jusqu’aux dents pour protéger des semi-remorques qui contenaient seulement cinq œuvres chacun, une expérience mémorable !
En parallèle de tous ces succès, j’ai vécu cinq ans d’enfer personnel. Croyant épouser le Prince charmant, je m’étais mariée à un homme violent en privé, au point que j’ai fait trois fausses couches à 4 mois de grossesse. Le jour où j’ai perdu mon troisième bébé, il m’a frappé devant ma mère et l’a attaquée aussi. J’ai compris qu’il n’y avait plus de limites et que ma vie était en danger. Je l’ai quitté définitivement. C’est autant ma famille, mes amis à qui j’osais enfin dire la vérité que mon métier, qui m’ont permis de me reconstruire. À cette époque, porter plainte ne servait à rien : la police me renvoyait à chaque fois chez moi en prétextant que j’allais détruire la réputation de mon mari. Heureusement, de nos jours les choses semblent évoluer dans le bon sens et la parole des femmes est peut-être mieux entendue.
Comment as-tu pu tenir si longtemps ?
D’un côté, je réalisais mon rêve en organisant des expositions de la taille du Grand Palais et rentrée chez moi je survivais au monstrueux, jour après jour. Il m’a fallu deux ans pour obtenir le divorce. À présent, la page est tournée et j’ai rencontré un homme adorable avec qui j’ai eu des jumeaux, un garçon et une fille, grâce à un don d’ovocytes et à la formidable clinique Eugin de Barcelone.
La Pinacothèque était un lieu privé, nous avions, 1,2 million de visiteurs par an. À chaque événement, nous étions sur le fil du rasoir. Les assurances étaient exorbitantes et nous avions 70 employés. Chaque exposition nous mettait pratiquement sur la paille, mais l’affluence nous renflouait à chaque fois : nous avions en moyenne 500 personnes par jour et même jusqu’à 4000 par jour pour Klimt. Puis survinrent les attaques terroristes du Bataclan, qui vidèrent Paris. La fréquentation avait chuté à 50 personnes par jour. En février, croulant sous les dettes, mon patron décida de fermer les Pinacothèques de Paris et de Singapour.
J’ai dû, de nouveau, me réinventer. À l’époque je gravitais dans deux cercles. L’un issu de grandes familles aisées, d’une moyenne d’âge de 70 ans et l’autre, composé de jeunes de 25-30 ans, entrepreneurs à succès, qui ne cessaient de créer de nouvelles entreprises. Je venais d’avoir 40 ans et j’avais toujours soif de paris fous et de risques insensés. Je me suis donc associée en 2016 avec Benjamin Hélion et Benjamin Lanot. Ils avaient déjà un espace dans le 11e et moi, malgré six ans d’art ancien, plus que jamais le démon de l’art contemporain.
Je vivais une renaissance de Phoenix, ayant échappé à la violence et à la mort. Créer mon lieu m’a donné une liberté incroyable, même si, tous les chefs d’entreprise le savent, on dort beaucoup moins bien la nuit ! Cette aventure dure maintenant depuis cinq ans et demi.
Quelle vie incroyable, j’en ait des frissons. Parlons maintenant de H Gallery : Quelle est ta ligne artistique ?
Je suis passionnée par la découverte et la mise en valeur de talents qui n’ont jamais, ou rarement, été montrés en France. Au départ, je représentais surtout les artistes que je connaissais le mieux, c’est-à-dire, ceux d’Amérique du Nord et d’Amérique latine, mais après cinq ans en France, ils sont de plus en plus européens.
Chez H Gallery les carrières d’artistes établis y côtoient celles d’artistes émergents. Matt Blackwell a reçu le Guggenheim Fellowship. Noa Charuvi, a obtenu la Pollock Krasner Foundation Grant, Caroline Le Méhauté, le Prix Art Collector 2020 et Bilal Hamdad a été lauréat 2020 de la Fondation Colas et lauréat 2021 du Prix de la Société Générale.
Les artistes de H Gallery utilisent des médiums aussi variés que peintures, dessins, photographies, sculptures, installations, vidéos ou performances. Mais il est vrai que la figuration, que je défends depuis mes années new-yorkaises donc depuis plus de 20 ans, prend de plus en plus de place dans ma programmation à travers la peinture et le dessin.
Nous participons à des foires prestigieuses telles que « Paris Photo », « Art Paris Art Fair », « Photo London », « Urban Art Fair ». À « DDessin », nous avons gagné le Premier Prix du salon en 2017 et 2018. Nos activités ont été commentées par « Le Monde », « Le Journal des Arts » ou par « Le Quotidien de l’Art », « Connaissance des Arts », « Beaux-Arts Magazine » ou « The Washington Post ».
Pourtant, je dois avouer que le métier de galeriste est un business compliqué. C’est le dernier Far West, ce qui nous laisse une grande liberté et en même temps nous fragilise. Il faut apprendre à nager avec les requins sans en devenir un soi-même et sans se faire croquer !
En tant que galerie-défricheuse, quand on parie sur un artiste, il n’y a pas de principe de Mercato comme dans certains sports. Une fois que mon travail de mise en valeur et de reconnaissance portera ses fruits, l’artiste intégrera une galerie plus prestigieuse qui, elle, récoltera les gains financiers. Je garderai une part des lauriers, mais n’aurai pas nécessairement de retour sur investissement.
Malgré tout, je me donne corps et âme pour mes artistes, je prends tous les risques et me lance constamment de nouveaux défis. Je maintiens ma ligne de conduite et mon intégrité parce que je pense que c’est ainsi que l’on construit sur le long terme.
À chaque grande foire, je fragilise ma société en avançant des sommes démesurées. C’est un métier de fous, de passionnés et ma récompense est de faire éclore de futures stars, en espérant croître ensemble.
Mes amis galeristes qui ont ouvert il y a plus de trente ans me racontent qu’avec leurs artistes, ils formaient des familles qui évoluaient main dans la main. Mais le temps n’est plus vraiment à la loyauté ou à la gratitude.
Peux-tu nous parler de ton engagement pour les artistes femmes ?
Quand je me lance avec un artiste, je cherche le coup de foudre pour son œuvre. Qu’elle vienne d’une femme ou d’un homme m’importe peu au départ, mais il se trouve que j’ai souvent plus d’affinité avec les réalisations des femmes. Dans les écoles d’art, elles représentent 60 % des promotions alors qu’elles ne sont plus que 10 % dans les galeries. En tant que femme, il est de notre responsabilité d’être un peu militantes, avec subtilité et en tous cas, d’être solidaires. C’est pour cela que je suis résolument engagée dans leur défense et leur mise en lumière. Chez H Gallery nous en avons plus de 60 % dans notre panel d’artistes. J’ai collaboré également avec Clara Feder et Liu Bolin sur des projets autour de la notion de sororité dans le monde de l’art. Dans ce métier, les hommes sont très soudés, nous nous devons de l’être aussi et de nous entraider, mais, en pariant toujours sur la qualité et l’exceptionnel bien sûr, pas sur les quotas. J’aime les hommes et loin d’une guerre des sexes qui inverserait dominant et dominé, je recherche surtout l’harmonie entre les êtres afin que chacun ait une place juste.
Quels sont tes futurs challenges ?
Mon premier défi serait d’agrandir ma galerie. Je suis à la recherche d’un partenaire financier qui nous soutiendrait dans le but d’avoir un espace un peu plus conséquent.
L’enjeu permanent est de continuer de grandir : entre les gilets jaunes, les confinements, les quartiers désertés à cause du télétravail et la guerre, la tâche est plutôt ardue. Je désire garder cette liberté merveilleuse de pouvoir faire vivre la galerie et mes artistes.
Les signaux sont là, nous sommes sur la bonne voie : nous participons à de magnifiques foires, nous gagnons des prix, la presse écrit de beaux articles, les cotes de mes artistes montent. Je débute des collaborations avec des musées, les artistes que je représente commencent à être achetés par des institutions et certaines grandes galeries puisent dans mes artistes pour augmenter leur panel. Le défi est d’avoir une visibilité et des réseaux suffisamment importants pour que les artistes émergents qui deviennent, auprès de nous des artistes établis, aient envie de continuer leur carrière avec H Gallery.
Quelles sont les personnes qui t’ont inspirée dans ta carrière ?
J’en ai cité beaucoup déjà, mais je rajouterais Laurent Le Bon, désormais Président du Centre Pompidou avec qui je suis amie depuis les années 90 ; Eric Dupont dont la dévotion à ses artistes a été un modèle pour moi ; Guillaume Piens et la famille Lecêtre qui, respectivement, dirigent et possèdent « Art Paris » ; Eve de Medeiros, fondatrice du salon « DDessin » ; Guy Boyer, rédacteur en chef de « Connaissance des Arts » ; Philippe Dagen, le grand critique d’art du « Monde », tous ces gens qui croient en moi, m’encouragent, me soutiennent et m’inspirent en retour, parfois depuis des années. Je ne tarirai pas d’éloges sur ma famille, mais j’ai aussi la chance d’avoir des artistes et des collectionneurs (François, Philippe…) qui me donnent le sentiment de faire partie de ma tribu.
Aurais-tu un livre à nous conseiller ?
Je pense à l’œuvre de Stefan Zweig, « Le Joueur d’échecs », « Lettre à une inconnue » ou à Rainer Maria Rilke « Lettres à un jeune poète ». Ce sont des auteurs que j’ai dévorés depuis mon adolescence et dont les visions du monde m’ont beaucoup marquée.
Je citerais également l’œuvre de Julio Cortázar et le réalisme magique latino-américain. Balzac et Proust font partie des grands qui m’habitent et m’aident à écrire sur l’art. Mon artiste, Maryline Terrier est l’une des rares que je connaisse qui, comme moi, a lu « La Recherche du temps perdu » en entier. C’est précieux de pouvoir échanger avec quelqu’un d’aussi cultivé qu’elle. Nos conversations passionnées ont une place particulière dans ma vie.
Quelle est ta devise ou ton mantra ?
Quand on est autoentrepreneur, on doit se donner de la force au quotidien, c’est pour cela que j’ai plusieurs mantras. Il faut beaucoup de foi et un peu d’autodérision. J’ai tout d’abord « soyons réalistes désirons l’impossible », un slogan de mai 68. J’aime également citer de façon un peu provocatrice, cette phrase de Mao : « D’échec en échec jusqu’à la victoire finale ».
Un autre m’a beaucoup aidé dans les périodes plus difficiles de ma vie : « When you are going through hell, keep going » (Churchill).
Le dernier c’est « Il ne faut pas attendre que l’orage passe, il faut apprendre à danser sous la pluie ».
Ce que je voudrais transmettre à mes enfants, c’est l’amour de l’art et de la beauté. Je pense que c’est une façon de rendre le monde meilleur, petit à petit, mais également, que l’on doit aimer le chemin. « Il faut suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant » (André Gide).
Il n’y a pas de but ultime. Chaque jour, chaque moment, bon ou mauvais, heureux ou douloureux, les succès et aussi les obstacles doivent être pris à pleine main et embrassés. On peut apprendre, grandir et tirer des enseignements primordiaux de tout ce qui nous arrive pour aller toujours plus haut. Il n’y a pas de chef-d’œuvre final, il n’y a que des événements qui constituent notre chemin. Chaque instant est précieux et devrait être aimé comme le dernier ou une autre possibilité d’être meilleur ou différent, de se dépasser et de s’améliorer. Ce qui est difficile vaut la peine : il faut autant apprendre à danser sous le soleil que sous la pluie…
Merci Hélianthe pour ce moment d’émotion, tout en sensibilité, dans ton univers....
[Conférence MWF] Smart cities
Conférence MWF Institute: Visions et enjeux des Smart cities, dans les locaux d'Extended Monaco.
By Pascale Caron.
Lors de cette conférence, nous avons eu la chance de réunir deux intervenants de haute volée qui ont pu échanger sur la ville de demain, mais aussi d’aujourd’hui.
Tout d’abord Laurence Vanin (PHD/HDR), titulaire de la « chaire Smart City Philosophie et Éthique » à l’université Côte d’Azur. Elle est chercheur au laboratoire « Risques, Épidémiologie, Territoires, Informations, Éducation et Santé » (RETINES). Elle est également expert de l’Institut Europ’I.A, du Smart Deal et du Safe Cluster. Laurence est Directeur du Comité d’Éthique de « l’Institut du Numérique Responsable » (INR). Elle est aussi essayiste et a été nommée « Philosophe de la résilience » par Boris Cyrulnik. Son point de vue éclairant de philosophe était une manière de contrebalancer le tout technologique et apporter une perspective davantage centrée sur l’humain que sur l’usager.
Pour échanger avec elle, nous avions convié Georges Gambarini, qui représente le Gouvernement de Monaco en tant que responsable Smart City/Smart Country, et eEducation. Georges vient du monde du conseil en management technologique et a notamment travaillé en corporate finance, sur le marché des nouvelles technologies. Après un peu plus d’une dizaine d’années à l’étranger il est revenu en Principauté fin 2018 pour contribuer à l’ambition de transition numérique à Monaco. Il est spécialiste du management de l’innovation sans pour autant être ingénieur ou informaticien. Il défend une approche collaborative et drivée par l’usage de la smart city. Monaco a entamé en 2019 un programme d’envergure, Extended Monaco et nous avons organisé la conférence au cœur du réacteur dans leurs locaux ou tout est conçu.
Étant très impliquée dans l’innovation technologique et la Health Tech, j’ai eu à cœur d’animer ce panel que j’ai trouvé absolument passionnant.
Pour cela je suis d’abord partie de la définition d’une « smart city », si on en croit Wikipédia. C’est une ville intelligente, utilisant les technologies de l’information et de la communication pour améliorer la qualité des services urbains ou réduire leurs coûts. D’autres termes ont été employés pour des concepts similaires : ville connectée, cyberville, communautés électroniques. Pour mieux comprendre de quoi nous parlions, j’ai donc interrogé nos 2 invités.
Laurence Vanin, quel est le projet de la chaire Smart City à Nice ?
Le rôle de cette chaire est de faire un pas de côté vis-à-vis des technosciences et de réfléchir à cette ville du futur par le prisme de la philosophie et de l’éthique. Notre ambition c’est de la penser non pas seulement optimale et écoresponsable, mais aussi désirable. On la définit à juste titre comme étant intelligente. En latin, « intelligere » veut dire que tout est relié. Et en effet dans la smart city tout est relié, car l’ensemble est systémique. Mais « smart » est aussi un mot-valise : les uns y mettent de l’économie, les autres davantage d’optimisation des énergies, ou de la fluidité dans les trafics. La façon dont on conçoit la smart city donne également son orientation. Cela influe sur les décisions politiques ou industrielles, qui doivent les accompagner. Il est intéressant de se dire que « smart » pourrait nous renvoyer à quelque chose d’intelligent, de malin, d’agile, habile. Cependant le malin peut devenir catastrophique, au sens de malin, de diabolique.
Donc, quelle est cette ville dont on parle ? Qu’est-ce qu’on veut mettre derrière ces concepts de smart city et comment va-t-on en finir avec la question de la cité laboratoire ? On sait très bien qu’il existe déjà des smart cities, des quartiers qui sont smart, Monaco en est un exemple et Nice aussi. Nous faisons de belles choses en France et à l’étranger. Mais cette smart city est souvent rattachée à un projet prévu pour 2050.
Et c’est la suite qui m’interpelle en tant que philosophe. Effectivement, quand les bâtisseurs ont construit les cathédrales, ils ont mis 200 ou 300 ans. Ce temps permettait de s’habituer à l’évolution du paysage urbain, à la construction des bâtiments et de l’environnement associé, qui allait alors modifier les habitudes sociétales et culturelles des habitants. Aujourd’hui, les smart cities, poussent « comme des champignons » à une allure extrême et les hommes n’ont guère le temps de méditer les nouveaux usages liés à l’implantation de nouvelles technologies. Les générations qui auront 5 ans en 2050 ne sont encore nées, mais vivront dans des villes intelligentes bâties par leurs parents et grands-parents. Seulement 100 ans se seront écoulés entre la « machine à penser » de Turing et la Smart-City peuplées de bâtiments intelligents, de véhicules autonomes, de vivants et d’êtres hybrides. C’est pourquoi nous devons évaluer les risques et affiner le projet, car il engage notre responsabilité à l’égard des générations à venir, de cet environnement que nous sommes en train de leur créer. Faisons-nous les bons choix pour eux ?
Georges Gambarini, quelle est la vision de la « smart city », vue de la principauté ? Y a-t-il un modèle existant dont vous vous inspirez ?
Je rebondis tout d’abord sur la partie « smart » que vous avez évoquée, car à Monaco nous considérons aussi que ce terme peut-être perçu comme un mot-valise. C’est le concept même d’intelligence qui rend le principe de « ville intelligente », complexe à définir. Il ne faut pas oublier qu’une ville est un écosystème vivant qui comporte des êtres vivants, dès lors une ville intelligente est une ville qui comprend et s’adapte à son contexte particulier et celui de ses habitants.
Alors est-ce que Monaco est une ville intelligente ? Je pense que depuis 150 ans, elle a su montrer qu’elle en est une. Elle s’est adaptée à différents contextes et évolutions. Mais pourquoi est-ce qu’on en parle beaucoup aujourd’hui ? Car depuis une petite dizaine d’années nous observons une accélération de la montée en maturité des nouvelles technologies. Un certain nombre d’entre elles libèrent un champ des possibles en ce qui concerne la gestion de la ville et le business pour les entreprises. En Principauté de Monaco, depuis 3 ans, nous structurons notre approche autour de la smart city en prenant en compte notre conjoncture.
Il repose dans l’ensemble sur 2 principaux facteurs. Le premier, c’est notre modèle de smart city et de smart nation. Monaco est celui d’une ville-État avec une attractivité, et des valeurs déjà basées sur les meilleurs standards d’éducation, de sécurité, de quête de vie personnelle et professionnelle que nous nous devons de maintenir. Le deuxième sujet qui est très important, c’est le contexte humain et urbain de la principauté. Il n’y a pas beaucoup de villes de 38 000 habitants qui le matin, entre 7 h 30 et 9 h 30 accueillent 50 000 salariés. Cela crée une tension particulière sur un espace de deux kilomètres carrés, avec une densité urbaine quasiment unique au monde.
Pour répondre à votre question est-ce qu’on peut reproduire ce qui existe ailleurs ? On nous dit souvent que Monaco souhaite devenir le Singapour de l’Europe. Certes, nous allons nous inspirer de l’ambition, de la démarche, du rythme, de l’organisation du projet qui vont être mis en place dans ce type de ville là. Cette inspiration nous permettra de nous transformer en un modèle numérique de smart city. Pour autant les modèles reposeront sur des contextes et des valeurs différentes. La grande divergence de Monaco avec l’Asiatique Singapour, c’est que notre ville état est de culture européenne et latine avec une histoire et un patrimoine à préserver et valoriser. Singapour est indépendante depuis 1965, Monaco depuis 1297 : le poids de l’histoire et les modèles de société comptent dans l’usage des technologies, au service de la ville !
Notre patrimoine, et notre manière de voir les choses sont profondément différents. Nous nous devons donc d’avoir une démarche qui sera probablement plus low Tech et très centrée autour du respect des données personnelles et de l’individu.
Mon job c’est d’humblement essayer, de contribuer à pérenniser le modèle de la principauté en prenant en compte nos contraintes majeures comme la mobilité et le développement durable. Dans un espace fini, où nous avons optimisé chaque centimètre carré. Nous ne pouvons pas miser sur la campagne pour faire la transition, environnementale !
Il n’y a donc pas de modèle de smart city. C’est un concept polymorphique, adapté à chaque marché. Chaque ville a ses contraintes, comme des problèmes de mobilité, circulation, qualité de vie, et développement durable. Notre but est d’avoir un management efficient de la ville. La démarche environnementale est très importante dans ce projet et est gérée de façon transverse. Notre stratégie numérique est volontairement nativement écoresponsable. Nous réfléchissons également nos services numériques en doublon de ce qui existe en physique à Monaco. La relation humaine reste au cœur du service public, le numérique offre un nouveau canal. Nous ne numérisons pas pour faire des économies, mais pour rajouter du service. Nous ambitionnons sincèrement de ne laisser personne sur le bord de la route.
Laurence Vanin, quel est le point de vue du Philosophe ?
Je partage tout à fait ce que vous avez développé. La Smart City, la ville intelligente, ultra connectée se révèle être l’espace de nouveaux enjeux économiques, de défis écologiques, de réalisations et de prouesses techniques, elle ne peut cependant répondre aux seules exigences de l’innovation. La Smart City évoque une proposition, non pas au sens d’énoncé logique, mais plutôt pragmatiquement en qualité d’ouverture à de nombreuses possibilités liées à l’offre technologique et à la création de services nouveaux. Ces opportunités coïncident avec l’impératif de résorber les effets des excès de la consommation, et les gaspillages énergétiques qui ont notamment des conséquences tragiques sur la santé des individus, des vivants et plus généralement sur l’environnement.
Dans les projections on peut prendre l’exemple de Paris et imaginer la « smart city » qui se dresse sur la ville ancienne au milieu de ses monuments. Technologiquement, la smart city n’est pas uniquement une ville laboratoire, elle est multi-usage, multiservice, toute en hauteur avec une stratégie multiforme qui propose des bâtiments économisant l’énergie, une ville écodurable. De fait, si le cœur de la ville reste son cœur historique, la Smart city ne peut se couper de son passé. Elle ne peut s’isoler de son « âme » de ce qui fait son charme, mais également géographiquement elle renvoie à la spécificité de sa localisation.
D’un point de vue philosophique, elle ne doit pas se limiter à des exigences technologiques. Elle doit répondre aux futurs besoins liés à l’afflux des populations vers les villes, la pollution, la gestion des flux, l’économie d’énergie et l’optimisation des bâtiments, etc. Elle doit également être une ville désirable pour des humains qui auront à cœur d’y habiter, d’y demeurer, de s’y épanouir : et être au service des humains. C’est pourquoi réfléchir à la ville du futur consiste à nous demander ce que nous attendons d’elle. Comment aimerions-nous la redessiner, en dehors des propositions exposées par les acteurs du territoire, en fonction de nos désirs de citoyens, acteurs dans la Cité ?
Désormais les villes vont disposer d’un mobilier urbain connecté c’est pourquoi les usagers prennent conscience de la valeur des données, des datas d’autant que tous n’ont pas accès au langage informatique. Chacun s’interroge donc sur les liens qui s’établissent entre l’utilisateur et le collecteur de données. « Dans l’univers illimité des flux, l’État érige des murs visibles, terrestres et sous-marins qu’il veut le moins visibles possible.[1] » Et l’enjeu éthique repose sur le cadre juridique qui entoure la donnée et qui nécessite d’interroger les process (stockage, utilisation, exploitation), mais aussi la sécurisation et la gouvernance. D’autre part l’arrivée de l’I.A laisse perplexe, puisqu’un ensemble de tâches qui revenait initialement à l’humain lui échappe et est réalisé par des machines.
« Au XXe siècle, le libéralisme aura beaucoup plus de mal à se vendre. Alors que les masses perdent leur importance économique, l’argument moral seul suffira-t-il à protéger les droits de l’homme et les libertés ? Les élites et les gouvernements continueront-ils à apprécier la valeur de chaque être humain sans que cela ne rapporte le moindre dividende économique ?
Dans le passé, il y avait quantité de choses que seuls les humains pouvaient faire. Désormais, robots et ordinateurs rattrapent leur retard et pourraient bientôt surpasser les hommes dans la plupart des tâches. Certes, les ordinateurs fonctionnent tout autrement que les hommes, et il est peu probable que des ordinateurs s’humanisent dans un futur proche. En particulier, il est peu probable que des ordinateurs soient sur le point d’acquérir une conscience et se mettent à éprouver émotions et sensations. L’intelligence informatique a accompli d’immenses progrès au fil du demi-siècle écoulé, mais la conscience des ordinateurs n’a absolument pas progressé.[2] »
De la même manière, l’I.A paraît pouvoir anticiper sur les aspirations des hommes et les rendre si prévisibles qu’ils se trouvent dépourvus d’une part de leur libre arbitre. L’I.A a inventé l’homme « prédictible ».
« Transformés en fournisseurs de data, ceux-ci (les individus et les groupes que les réseaux dits “sociaux” dé-forment et reforment selon de nouveaux protocoles d’association) s’en trouvent désindividués par le fait même : leurs propres données, qui constituent aussi ce que l’on appelle (dans le langage de la phénoménologie husserlienne du temps) des rétentions, permettent de les déposséder de leurs propres propensions — c’est-à-dire de leurs propres désirs, attentes, volitions, volonté, etc.[3] »
La combinatoire de nombreuses données produit des résultats tendant à dissoudre les désirs des hommes et leur liberté dans un algorithme qui devient le référent au détriment de l’humain, qui initialement était défini comme être de liberté. La confiance qui est accordée à des magmas de code, « d’existences autonomes » entraîne un nouveau genre d’« autoaccroissement de la technique », qui produit un effet singulier : une forme d’éloignement à l’égard des humains. En effet, l’algorithme utilise les données fournies par les hommes, mais l’I.A calcule dans la froideur des automatismes informatiques et impose ce qui aura valeur de décision.
En confiant une partie de leurs tâches à la logique algorithme les hommes se dessaisissent d’une part de leurs réflexions. Ils se doivent malgré tout de conserver une part de leur capacité de décision et d’exercice de leur libre arbitre, au risque de se mettre en danger[4]. La responsabilité ne peut donc être transférée à la seule puissance de l’I.A. L’humain doit donc garder au cœur de la Smart City et des processus mis en œuvre dans sa construction, sa capacité à raisonner et à finaliser les décisions. Cela permet d’en rester maître et de ne pas s’aliéner à « la série des abstractions » en s’en remettant à la puissance métaphysique et aveugle de la technique.
En d’autres termes, la technique — souvent considérée comme neutre — n’a pas été soumise à la contrainte morale puisqu’elle avait vocation à se déployer sans limites pour servir quelques fins. C’est pourquoi elle ne peut dans le cadre de la Smart City se développer de manière totalement libre, sans être régulée, contrôlée. La puissance et l’autonomie de la technique ne peuvent comme le redoute Ellul dans son ouvrage Le système technicien justifier que la technique « soit juge de la morale. » La Smart City ne peut devenir le théâtre de la mise en œuvre des technosciences où « une proposition morale ne sera considérée comme valable pour ce temps que si elle peut entrer dans le système technique, si elle s’accorde avec lui. »
La ville de demain est une ville « machine ». Elle capte, elle répond, on va la toucher par l’intermédiaire d’écrans, elle va faire écho à nos demandes. Mais, il faudra rapidement savoir si ces services nous rendent vraiment heureux. Avons-nous envie d’être des citoyens « sous surveillance » ? Quelle humanité pour nous dans le futur ? Et comment faire ces transitions, cet accompagnement au changement pour une ville inclusive, une ville dans laquelle les citoyens vont s’épanouir ?
La sagesse consiste à se dire que cette conception de la ville du futur demeure toujours inachevée. L’humain qui la pense est un être de « l’ici et du maintenant », un maintenant qui ne sera qu’un « hier » ou qu’un « passé » pour les générations futures, qui vivront au cœur de la Smart City.
Georges Gambarini, quels sont vos enjeux et vos principaux projets courts termes, mais aussi long terme ?
Merci beaucoup Laurence. J’aurais aimé être votre élève il y a quelques années. En Principauté on travaille nos feuilles de route, de transformation et d’innovation dans un rythme qui est assez court terme. Globalement, nous planifions à trois ans et avons une visibilité au plus loin à six ans sur les projets plus long terme. Nous restons très collés au terrain. Nous sommes vigilants à mettre en place des garde-fous, pour ne pas tomber du mauvais côté. La capacité à réglementer rapidement est clairement une des forces d’une cité-État comme Monaco. Nous allons pouvoir évoluer beaucoup plus vite et de manière beaucoup plus itérative. Actuellement l’une des priorités c’est la protection des données personnelles. Au-delà de la réglementation, la notion d’éducation est critique. Ma deuxième casquette professionnelle c’est justement la e-éducation. C’est apprendre à ces jeunes générations aussi, à ne pas sombrer dans les dérives que vous nous avez indiquées et à comprendre les opportunités, mais également les risques du monde numérique.
Concernant la smart city en Principauté nous travaillons sur trois grands axes. Tout d’abord construire les derniers maillons d’une mobilité performante, enrichir le cadre de vie par l’interaction avec les habitants, parvenir à une meilleure maîtrise de la planification urbaine et des marqueurs environnementaux.
L’expérience de la ville est un sujet important, on peut citer les abribus connectés, véritables points de repère numériques au cœur de la ville, dotée de services (WiFi, capteurs écologiques, services pour touristes et résidents…). Le numérique est au cœur d’une nouvelle relation à la ville pour les résidents. Au-delà de l’accessibilité en ligne, des informations sur le cadre de vie, la « voix de l’usager » est prise en compte dans l’application Urban Report. Elle nous permet de perfectionner l’efficacité de nos actions par la force du collectif en créant une dimension participative.
Georges Gambarini, où en êtes-vous de ce projet qui a démarré en 2019 ?
Sur le volet des outils numériques grand public, nous avons commencé par la mise en place d’une stratégie de plateformes qui vise à développer des applications qui regroupent plusieurs usages. L’objectif est de rationaliser les trop nombreuses applications afin de proposer un service plus lisible, de faire des économies et d’obtenir un gain carbone. C’est dans cet objectif que nous fournissons des services massifiant comme YourMonaco, Monapass, ou encore Citymapper.
Nous travaillons avec des partenaires sur des projets comme Livrici qui est l’optimisation de la livraison du dernier kilomètre. Pour cela nous utilisons des capteurs d’analyses d’images, qui monitorent les places de livraison et une interface web qui donne en temps réel l’information de disponibilité aux livreurs.
Sur le volet de la gouvernance urbaine et des outils d’aide à la décision, le 1er cycle est terminé. Nous avons déployé des piliers technologiques que sont la 5G, le Cloud et le jumeau numérique (représentation de Monaco). Nous avons développé les 1ers cas d’usage et les premiers produits sont lancés.
Maintenant dans la phase 2 on accélère. Nous avons des feuilles de route 3 ans par 3 ans. Notre plus grand enjeu réside dans l’aide à la décision, IOT, l’analyse de la data avec le respect dû aux réglementations européennes. Notre focus est axé sur l’humain. Nous ne sommes pas centrés Tech, et plutôt drivés par l’usage et la collaboration. Nous avons trouvé les bons partenaires et combiné les savoir-faire.
Pouvez-vous nous montrer des exemples et ce fameux jumeau numérique ?
Georges Gambarini nous a présenté 3 vidéos :
- Monaco et son jumeau numérique dans le cadre de la gestion des projets d’urbanismes
- L’intervention de pompiers connectés/augmentés au musée océanographique.
- L’exemple de la relève de la garde et la prise de décision dans le cadre de la Covid.
Laurence Vanin : Quelle est la place de la femme dans la smart city de demain ?
Elle est partout. Bien évidemment, les femmes ont investi quasiment tous les métiers, les espaces de vie. Elles sont libres et citoyennes à part entière, comme les hommes. Elles ont une sensibilité ou une perception peut-être de la ville légèrement différente, plus pragmatique, mais aussi plus poétique. Parfois la smart city manque de couleurs. On a du verre ou de la verdure, c’est un peu morne non ? Peut-être serait-il pertinent d’observer ce que font spécifiquement les femmes, leur souhait de créativité ? S’il y a des lieux qui les interpellent davantage que les hommes ? Peut-être sont-elles en quête de nouveaux services ? de sécurité ? d’espaces de détente, de flânerie ? de partage en famille ou seule pour se ressourcer ? La ville du futur devra donc être inspirante et désirable, et non pas uniquement une somme de prouesses techniques.
La conférence s’est terminée par des questions du public. Merci à Extended Monaco pour ce moment passionnant.
[1] Olivier Mongin, La ville des flux, L’envers et l’endroit de la mondialisation urbaine. Ed. Fayard. Une urbanisation à plusieurs vitesses. p. 196
[2] Y.N Harari, Homo deus, une brève histoire de l’avenir, Ed. Albin Michel, p. 334.
[3] Bernard Stiegler, Dans la disruption. Comment ne pas devenir fou. Ed. LLL. La Disruption. 5. Toujours trop tard. p. 23.
[4] Cf. Jean François Mattéi, L’homme dévasté, Ed. Grasset, p. 145
[Bijou] de peau
Interview de Nawal Laoui, créatrice de la marque de bijoux Persée, @persee_paris.
By Pascale Caron.
Si les maisons de joaillerie traditionnelles restent des valeurs sûres, elles sont aujourd’hui talonnées par de nouvelles marques qui proposent des bijoux précieux à porter au quotidien. Parmi ces acteurs de la joaillerie, Persée est devenu un incontournable.
Nawal Laoui fait entrer le diamant dans une nouvelle ère, celui d’un bijou de peau, qui s’oublie par sa discrétion et sa légèreté.
En seulement 5 ans, la marque fait partie des noms les plus sollicités à travers le monde. J’ai voulu en savoir plus sur sa trajectoire.
Peux-tu nous parler de ton parcours ?
Après un MBA en Management & Marketing du Luxe, j’ai dirigé ma carrière dans le secteur de la joaillerie puis de l’horlogerie.
J’ai toujours aimé voyager et mes études ont été jalonnées de plusieurs stages à l’étranger. Ce parcours a été fondateur. J’avais un désir de voyage et je cherchais sans cesse à aller le plus loin possible. Je suis d’abord partie à Shanghai en stage dans le digital où je me suis passionnée pour la culture chinoise au point d’en étudier et parler la langue.
Puis j’ai fait un deuxième stage de 6 mois à Los Angeles. Cette expérience dans une startup de la cosmétique de luxe a guidé ma carrière dans le secteur du luxe. Je jouais un vrai rôle dans l’entreprise ; j’étais responsable marketing et commerciale de l’Amérique latine.
J’ai dû sillonner les salons avec le directeur général, San Francisco, Las Vegas, San Diego… C’est à cette époque que je me suis formée au développement wholesale & stratégie business de marque.
J’ai terminé mes études avec un MBA en alternance à Paris dans la Joaillerie, pour une marque qui naissait, Redline. La fondatrice était jeune et à travers son parcours je me suis rendu compte qu’avec de la passion et un peu de moyens on pouvait arriver à ses fins. Si toutes mes camarades avaient rejoint de très grands groupes de luxe, j’avais fait le choix d’une plus petite structure, car le projet me semblait très challengeant. J’y suis restée 2 ans au cours desquels j’ai accompagné l’entreprise dans son développement commercial et stratégique.
À la suite de cette expérience, j’ai intégré des maisons dans la haute joaillerie et l’horlogerie, de Fabergé à Audemars Piguet.
Mais le modèle de salariat ne m’épanouissait pas. L’envie très forte de fonder ma propre société m’a poussée à tout quitter en 2017. Ma première volonté a été de créer une conciergerie, un Family Office pour fortunés Asiatiques, dans l’immobilier, l’art ou la joaillerie. J’ai donc fait un business plan et je suis partie à Hong Kong bien décidée à tester mon concept. Au même moment à Hong Kong se déroulait un salon de la joaillerie. J’y ai j’accompagné un ami qui avait besoin de mon expertise. Ce salon m’a fait prendre conscience que c’était ce milieu qui m’animait. J’avais les yeux qui pétillaient devant les bijoux, c’était mon monde. Je suis alors rentrée à Paris avec une nouvelle idée : créer une marque de joaillerie !
C’est comme cela qu’est née « Persée Paris » ?
J’ai toujours aimé les bijoux fins et délicats. Je souhaitais donc proposer une marque autour du bijou de peau, qui s’oublie par sa légèreté et se rappelle par sa singularité. Pour aller plus loin dans la légèreté du bijou, je me suis souvenue d’un procédé japonais rencontré lors de mon tour du monde, qui permet de percer les diamants au laser et leur donne délicatesse et originalité.
C’est comme cela que Persée est née, autour d’une mono technique. Avec la volonté d’apporter une approche plus contemporaine à la joaillerie, en bouleversant les codes, j’ai inventé une nouvelle façon de porter le diamant, sans serti, nu. En m’affranchissant des traditions, j’ai souhaité le mettre en apesanteur, entre légèreté et jeu de lumière. J’y ai associé les chaines les plus fines possibles, 0,6 mm, afin qu’elles se confondent avec la peau.
Persée est pensée pour chaque femme qui souhaite arborer le luxe au quotidien, en toute simplicité. L’originalité vient aussi du fait que tous les bijoux sont ajustables avec un système de fermeture unique. Ils possèdent tous une bille en silicone qui permet de jouer avec les longueurs.
Où puises-tu ton inspiration ?
Je suis passionnée par l’Art depuis mon enfance. J’ai donc débuté mes premières collections en rendant hommage à des artistes. Je me suis inspirée de Brancusi, Calder, Miro, Pierre Jeanneret et j’y ai mêlé mes origines marocaines.
Où en êtes-vous dans l’évolution de la société ?
Persée est distribuée dans une centaine de points de vente en Europe, Moyen-Orient & États-Unis. Nous poursuivons le développement de Persée avec l’ouverture de plusieurs « Piercings Labs ». Ils permettent une expérience retail où le client peut se faire percer l’oreille avec un bijou en or et diamant conçu spécifiquement pour l’acte de piercing. Dans la continuité nous avons développé plusieurs « chaines Labs » où le client peut se faire souder un bracelet pour la vie : une sorte de tatouage joaillier.
Quels sont tes prochains challenges ?
L’ouverture de plusieurs boutiques en propre, en Europe et au Moyen-Orient… Elles seront pensées autour de l’expérience client avec plusieurs services intégrés : le piercing, la gravure, la soudure, etc. pour offrir à chacun une expérience unique.
Quelles sont les personnes qui t’inspirent ?
Lors de mon tour du monde où j’ai sillonné une quarantaine de pays pendant un an, j’ai rencontré Mohit dans une ONG à Delhi : « Teach for India ». Il avait étudié aux USAs, et travaillé dans les grands cabinets de conseil. Sa volonté avait été de rentrer en Inde et retrouver un sens à sa vie.
Il a voulu rendre l’éducation accessible à tous et notamment aux petites filles. Pendant mon séjour, j’y avais enseigné le français. Mohit est un homme de conviction, engagé et inspirant, qui apporte à sa manière son soutien à son pays en s’attelant à l’accès pour tous à l’éducation.
Plus globalement, toutes les personnes qui font avancer les choses à leur niveau m’inspirent que ce soient les entrepreneur(e)s, les artistes ; les médecins…
Aurais-tu un livre ou un endroit qui t’a fasciné lors de ton périple ?
Le Salar d’Uyuni, ou désert de sel en Bolivie m’a marquée. Il apporte la paix intérieure, avec son blanc immaculé à perte de vue.
Dans un autre registre, je conseille à tous ceux qui veulent monter leur entreprise « L’art de la victoire — Autobiographie du fondateur de NIKE ». Phil Knight, l’homme derrière le « swoosh », la virgule, est toujours resté dans l’ombre, et sa vie un mystère. Il raconte son histoire dans ce livre surprenant, drôle et inspirant.
En conclusion aurais-tu une devise ou un mantra ?
« Le meilleur moyen de prévoir le futur, c’est de le créer ! ».
A méditer.
[Architecture] d'intérieur
Interview de Charlotte Watine, Fondatrice et Directeur de W&You,
By Pascale Caron
W&You est une agence parisienne d’architecture d’intérieur et d’aménagement d’espaces professionnels. Décoratrice d’intérieur diplômée d’état, elle a créé sa société en 2017 en association avec Wissem Soussi, designer industriel diplômé des arts et métiers. Ils réunissent différents talents qu’ils font intervenir selon les problématiques des projets.
Comment es-tu devenue entrepreneure et d’où vient l’idée de W&You ?
Pour moi, l’architecture d’intérieur est une reconversion. J’ai commencé par des études d’arts et de cinéma en France et en Italie, puis un master de business International en Australie, où j’ai vécu 7 ans. J’ai eu la chance d’embarquer dans une belle aventure en rejoignant Advent group à mon retour en France. Spécialisée dans le recrutement de MBA internationaux, cette startup dont j’étais la directrice commerciale est passée de 7 à 125 personnes en 10 ans. Après 7 ans de vie trépidante à parcourir le monde, je me suis épuisée professionnellement. Mon patron m’a encouragé à fonder mon entreprise et à explorer un nouvel univers. J’avais adoré le management, mais le côté créatif pour lequel j’avais fait des études me manquait cruellement.
Je me suis inspirée de ma grand-mère, femme de diplomate qui sur le tard s’est reconvertie dans la décoration et a participé à de beaux projets d’ambassades.
J’ai donc repris le chemin des études et fait une formation intense d’un an. Cette période a été un tournant dans ma vie à plusieurs titres : c’est là que j’ai rencontré mon futur conjoint et associé, le deuxième W de W&You ! Il était designer automobile et avait entamé lui aussi une remise en question. Créer mon entreprise c’est fait par opportunités. Au départ, mon idée était de monter « un petit truc » en autoentrepreneur, mais les nombreux projets m’ont vite amenée à devenir une vraie société !
À la fin de ma formation, j’ai décroché un premier contrat : la refonte totale d’un espace de bureau de 1500 m2 pour Résoneo. J’ai appris en faisant et cela m’a passionnée. Depuis cette expérience on me confie beaucoup de chantiers de bureaux. De par ma connaissance du monde de l’entreprise, j’ai une vision claire de l’agencement des espaces de travail, et j’y ajoute une véritable réflexion sur le bien être des collaborateurs. Contrairement aux idées reçues, je trouve qu’il est intéressant de réunir les programmeurs dans des espaces ouverts pour les faire sortir de leur bulle et les commerciaux dans des zones fermées, car ils sont au téléphone constamment. J’organise des mini salles de réunion, des lieux de détente. Nous nous focalisons beaucoup sur l’acoustique avec des dispositifs qui sont devenus de véritables œuvres d’art. Depuis la covid les manières de travailler ont changé le retour au bureau doit être synonyme d’interactions par équipes.
En parallèle, Wissem collabore avec la galerie Itinerrance. Il est co-organisateur de la foire internationale d’art urbain, District13. Dans ce projet nous optimisons l’agencement et les cloisonnements des stands pour accueillir plus de galeries d’art. Proches des artistes de street art comme Obey ou Invader, nous avons à notre actif des projets de façades mêlant art et architecture pour le 13e arrondissement.
Dans un tout autre registre, nous avons conçu et décoré Chocco Bar, un bar à chocolat situé dans le 13e, faisant face aux futures tours Jean Nouvel. Notre client voulait une identité forte pour ce nouveau concept de chocolaterie qui devrait se développer dans plusieurs quartiers de Paris.
Comment as-tu vécu le passage à l’entrepreneuriat ?
En tant que salariée, j’avais vécu l’aventure d’une startup et j’avais l’impression que c’était ma boite. Bien sûr quand j’ai créé ma société je me suis vite rendu compte que je n’en avais pas exploré toutes les facettes. J’ai dû assumer tous les rôles d’un coup : production, comptable, commerciale, et cela avec 2 enfants en bas âge. Les journées sont très intenses. Wissem et moi nous sommes très complémentaires : il est très technique et moi j’ai une vision plus globale et commerciale. Je fais beaucoup de suivi de chantier, je sors beaucoup, alors que lui est très casanier. Nous ne travaillons pas toujours sur les projets ensemble ce qui permet à chacun de garder son périmètre. Ça s’est fait tout naturellement.
Peux-tu nous donner d’un exemple de réalisations qui t’a marqué ?
En coopération avec la galerie Itinerrance, nous avons eu le plaisir de participer à la conception et à l’exécution de la façade de la nouvelle maison de la Tunisie. Le pavillon Habib Bourguiba est un véritable défi technique et esthétique. Exploration Architecture et l’architecte tunisien Lamine Ben Hibet ont porté le projet. Le postulat de départ a été « Comment intégrer l’art dans l’espace public ? ».
La Galerie Itinerrance a confié à l’artiste calligraphe tunisien Shoof, la réalisation d’un lettrage représentant non pas un texte ni des mots, mais l’essence même de l’écriture arabe. L’étude et la conception de la façade ont été l’œuvre de Wissem. Il a pensé la double peau en aluminium qui enveloppe l’intégralité du bâtiment. La complexité résidait dans le placage du lettrage sur la façade tout en gardant la lumière à l’intérieur.
Le but de cette démarche, avant tout créative et artistique, était de retranscrire l’image d’une Tunisie moderne imprégnée de son identité avec une construction intemporelle.
C’est réussi ! Je la vois souvent du périph quand je viens à Paris. La crise de la Covid a-t-elle eu une répercussion sur tes activités ?
Comme tu peux l’imaginer, l’impact a été majeur sur les projets en entreprise et les grands chantiers. Chocco Bar par exemple a réduit ses ambitions d’extension et nous avons dû nous réinventer en rebondissant dans le résidentiel. Depuis la vie a repris et nous avons refait District 13 en janvier et le suivant est programmé en septembre.
Quels sont tes futurs challenges ?
Notre prochain défi est de sortir une ligne de mobilier. Nous avons créé un fauteuil et une chaise, produits sans empreinte carbone, fabriqués en France et économiquement viables. Je pourrais en dire plus bientôt.Quelles sont les personnes qui t’inspirent ?
Je citerais en premier Christophe Coutat, d’Advent Group pour qui j’ai travaillé pendant 7 ans. Il m’a donné le goût de l’entrepreneuriat. On ne lui avait pas dit que c’était impossible alors il l’a fait, pour paraphraser Mark Twain.
Ma grand-mère, Christiane d’Halloy, a été ma muse. Femme de diplomate, autodidacte, elle est devenue décoratrice à 50 ans et a collaboré à de très beaux projets.
Dans l’architecture d’intérieur, je citerais India Mahdavi. Son style est cosmopolite, polychrome, influencé par le cinéma autant que par le design et l’art. Elle conçoit son métier comme une véritable récréation décorative, un conte en trois dimensions, métissant les époques et les styles, apportant humour et fantaisie, jouant avec les couleurs. Je suis admirative de ce qu’elle ose faire : j’aimerai avoir des clients fous !
Je pense également à Kelly Wearstler, architecte et graphiste américaine qui a fondé son studio à Los Angeles. En explorant la matérialité, la forme et une juxtaposition intuitive entre contemporain et vintage, elle crée des designs extraordinaires. Elle a beaucoup de courage dans ses choix, et chaque projet possède sa propre personnalité. C’est ce que j’essaye de faire avec mes clients, cela passe par beaucoup d’écoute. Les appartements doivent leur ressembler, c’est un perpétuel challenge qui fait constamment évoluer ma perception. Mon rêve serait de concevoir un hôtel ou un restaurant fou !
Aurais-tu un livre à nous conseiller ?
Je suis une fan de romans, ils me permettent de m’évader. Je conseillerai « L’invention de nos vies » de Karine Thuyle. Ce livre foisonnant, d’amour, de trahison, de mensonge, de réussite et de déchéance m’a passionnée.
Côté business, « The tipping point » de Malcolm Gladwell est un livre captivant. L’idée du Point de bascule est simple : pour comprendre l’émergence des modes, la naissance des best-sellers, ou tout autre changement a priori mystérieux, il suffit de les concevoir comme des épidémies. Retraçant la genèse de quelques succès retentissants, il nous livre les clés pour provoquer, à coup sûr, de véritables effets boule de neige. Comment New York, capitale du crime au début des années 1990, est-elle devenue en quelques mois une ville sécuritaire ? Comment une marque de chaussures « has been » a-t-elle reconquis le marché mondial de la mode grâce à quelques clubs branchés de Manhattan ?
En conclusion aurais-tu une devise ou un mantra ?
« La vie est faite d’opportunités qu’il faut savoir saisir ». En vieillissant, on comprend que tout se met en ordre, je me laisse porter.
[Neurosciences] Recrutement Soft-skills
Interview de Camille Morvan, chercheuse en neurosciences et co-fondatrice de Goshaba.
By Pascale Caron
Docteur en Sciences Cognitives (Collège de France) dont elle est une spécialiste mondiale, elle est passée par Harvard, NYU, CNRS, Normale Sup, Riken Brain Institute. Son expertise est la prise de décision et les biais cognitifs.
Après 10 ans de recherche académique, Camille rentre en France et décide de co-fonder Goshaba, la première technologie de matching qui combine jeux vidéo, data (machine learning) et sciences cognitives. Aujourd’hui Goshaba match des milliers de candidats au poste qui leur correspond.
Il est difficile d’évaluer des compétences comportementales et techniques lors d’un entretien d’embauche. En posant des questions, à première vue objectives, nous n’obtenons en réalité que des réponses subjectives. Comment recruter avec une plus grande précision ? C’est le défi que s’est lancé Goshaba. Lancée en 2014, Goshaba gamifie les outils utilisés en neurosciences pour révéler les talents des candidats — leurs soft skills, leurs compétences et leurs expériences. En proposant aux candidats des jeux vidéos correspondants aux compétences qui leur seront demandées, ils permettent aux recruteurs de choisir plus précisément leurs employés et de gagner du temps lors du processus de recrutement. Cette technologie est également de plus en plus utilisée dans les processus de mobilité interne ainsi que pour réaliser des évaluations ponctuelles au cours de la vie professionnelle de chacun.
Goshaba a été primée au Concours mondial d’Innovation, Vivatech, Techinnov, EDF Energy pulse, au concours d’innovation numérique, et aux trophées AEF du recrutement.
Comment es-tu passée de chercheuse à entrepreneur ?
J’ai toujours voulu être entrepreneure : j’ai créé « mon premier business » à 11 ans ! J’ai vendu des beignets sur la plage à Montpellier, nettoyé les vitres des voitures sur les parkings, codé des jeux vidéo avec ma sœur, tous les moyens étaient bons. J’ai choisi toutefois de commencer par la recherche, car elle était inscrite dans mon histoire familiale et je ne comprenais pas pourquoi il y avait tant de complication dans les relations humaines. C’est pour cela que j’ai choisi les sciences cognitives. La recherche s’apparente pour moi à une façon holistique d’expliquer le monde et de parvenir à des solutions objectives pour résoudre des problèmes pratiques.
Le métier est confortable, on apprend à réfléchir de manière propre, mais on rentre souvent trop dans les détails. Dès ma thèse, j’ai voulu passer au concret. À Harvard, j’ai travaillé pour une startup dans l’éducation. Je me suis rapprochée ensuite de BCG et Mc Kinsey, car le monde du consulting en stratégie me semblait intéressant, mais l’on restait trop dans un moule. Et puis avec l’avènement du JavaScript, j’ai réalisé que l’on pouvait coder sur PC tous les jeux et recherches que j’avais testés en laboratoire et j’ai voulu utiliser cette technologie pour détecter des potentiels. Quand tu es chercheur, tu ne décides pas de l’endroit où tu vis et tu es soumis aux opportunités des postes qui s’offrent à toi. J’ai donc eu envie de choisir l’endroit où je vivrais et j’ai sélectionné la France. Je suis un pur produit de l’éducation publique français et j’ai par la même voulu redonner un peu de cet investissement que mon pays avait fait en moi.
De retour des États-Unis, mon idée en poche, avant même de chercher des fonds, j’ai commencé par la quête de partenaires engagés et complémentaires, emballés par le concept. Je me motive à travers les interactions, c’est ma manière à moi de travailler. J’ai eu la chance de rencontrer très vite mes deux futurs associés et co-fondateurs, Djamil Kemal (Co-CEO) et Minh Phan (CTO). L’alchimie était créée, les compétences de chacun bien agencées. Être à la fois créateur et dirigeant est fondamental pour apporter de l’innovation et de la valeur ajoutée tout en transformant une idée en réalité. C’est incroyable d’avoir des idées, mais elles ne doivent pas être décorrélées de ce dont est capable l’entreprise à un instant T. Un créateur d’entreprise ne doit pas sous-estimer le côté administratif et procédural de la création et de la gestion d’entreprise. Il faut s’y coller et cela ne correspond pas toujours aux premières aspirations. Le processus est nécessaire, il permet de donner forme à l’idée dans le réel.
Une entreprise doit posséder deux atouts fondamentaux pour prétendre à la réussite : une raison d’être, un impact positif qu’il soit social ou environnemental, et un potentiel commercial. Le monde du recrutement combine ces deux paramètres avec un véritable besoin business, et un réel impact social. Les départements RH étaient très demandeurs d’outils d’évaluation qui les aident à dépasser les biais cognitifs et apprécier les compétences réelles des candidats, de façon plus équitable.
As-tu été accompagnée pour la création et peux-tu nous parler de ton expérience au sein de « The Galion Project » ?
BNP Paribas est l’un de mes principaux investisseurs et Goshaba a participé à l’accélérateur de startups du Groupe (WAI). C’est BNP Paribas qui m’a encouragée à intégrer le think tank « The Galion Project ». C’est un réseau de réflexion et d’entraide entre entrepreneurs qui permet d’être entouré. Il propose de nombreux outils, et des événements. C’est quand même une catégorie socio démographique qui m’était inconnue : c’est le seul endroit ou j’ai pu rencontrer plus d’un François-Xavier ;-). Blague à part, ils essayent de diversifier le groupe et j’ai beaucoup aimé ces moments de pause et de discussion. Sous couvert de confidentialité, nous avons partagé des problématiques de business, d’investisseurs, d’associés, de stress. J’ai pu m’alimenter des conseils et retours d’expériences de ceux qui sont passés par là et qui ont pris les mêmes risques à certaines étapes de la vie de l’entreprise.
J’ai rejoint également French Founders et Forbes. J’essaye de me nourrir de ces réseaux. Je fais partie aussi d’un groupe de Business Angels en Angleterre. J’accompagne actuellement 3 startups et je vais commencer à investir. Je cherche des sociétés ou je peux générer une valeur ajoutée radicale, comme dans le RH, les sciences cognitives et l’innovation.
Comment vois-tu l’évolution du métier de RH et les bouleversements en cours ?
La crise de la covid a beaucoup accéléré les changements de fond en ressources humaines. Les gens restent de moins en moins durablement dans un poste et il est devenu fondamental de recruter la bonne personne. Il faut les attirer vers l’entreprise, et leur apporter le sens qu’ils convoitent dans leur vie et leur travail. Mais les RHs passent souvent plus de temps dans des lourdeurs administratives que dans des taches à haute valeur ajoutée que sont les recherches du candidat idéal. Le gros enjeu est dans le manque d’agilité. Nous proposons de considérer la base des salariés comme des compétences : cela change radicalement la donne et permet la flexibilité.
Quelle a été l’impact de la crise sanitaire sur tes activités ?
On a eu un double effet « kiss cool. » Les RH étaient en panique et au départ nous avons perdu notre audience. Mais la crise a accéléré la digitalisation et le recrutement en a fait partie : il leur fallait un pool de talents flexibles et nous sommes devenus un acteur incontournable.
Quels sont tes prochains challenges ?
C’est la croissance. Nous avons initié un changement radical, et comme toute transformation cela prend du temps. Nous avons ouvert le marché et les concurrents se créent souvent sur des bases beaucoup moins scientifiques que nous. Nous voulons nous imposer en conservant le côté éthique et scientifique de la plateforme. Notre plus gros risque c’est le bullshit.
Quelles sont les personnes qui t’inspirent ?
Je m’inspire beaucoup de gens que je suis. Je citerai tout d’abord Barbara Kingsolver qui a écrit « un jardin dans les Appalaches ». Elle travaille sur l’environnement, la santé et la nourriture. Elle est très accessible et arrive à garder son éthique sans être dans le jugement. Elle propose des solutions radicales, qui font du bien à la planète. Pour autant, elle reste ancrée dans ses convictions en étant très abordable au plus grand nombre.
Je pense également à Liv Strömquist, autrice de BD qui vulgarise les concepts scientifiques de sociologie et de psychologie.
En dernier lieu, quand j’étais aux USAs, je m’étais investie dans la campagne de Barack Obama à un très petit niveau. Plus que l’homme lui-même, le mouvement autour de l’élection, le fait de croire en un idéal et d’y parvenir, m’avait beaucoup inspirée.
Aurais-tu un livre à nous conseiller ?
J’en ai déjà cité plusieurs, mais je proposerais « The multipliers » de Liz Wiseman. Elle explique comment certains leaders arrivent à multiplier l’intelligence autour d’eux alors que la plupart des dirigeants sont des « diminishors ». Elle nous donne des moyens pratiques pour appliquer ces concepts.
En conclusion aurais-tu une devise ou un mantra ?
Je m’attache chaque jour à « voir la poutre qui est dans mon œil plutôt que de voir la paille dans l’œil de mon voisin ». Il faut faire attention à ses propres biais cognitifs avant de les projeter à autrui. Quand on est agacé par quelque chose chez quelqu’un, cela dévoile souvent par effet miroir une partie de notre personnalité. Si quelque chose me touche chez l’autre en positif ou en négatif, j’essaye d’en analyser la raison et ce que cela révèle de mon caractère, afin d’évoluer.
[Mécénat et philanthropie] dans l'Art
Interview de Virginie Burnet présidente et fondatrice de l’art en plus, une agence de conseil en communication et en production de contenus culturels.
By Pascale Caron
Virginie Burnet a fondé l’art en plus en 2009 pour allier son engagement de longue date pour le mécénat et la philanthropie avec sa passion pour l’art et la culture.
Dans son agence de conseil en communication et en production de contenus culturels, elle accompagne les acteurs privés, mécènes et philanthropes, engagés dans la société et la création. L’agence développe leur visibilité, leur influence, conçois et pilote des projets artistiques, mobilise des talents et des ressources créatives.
Comment es-tu devenue entrepreneure et d’où vient l’idée de l’art en plus ?
J’ai fait des études de Droit, d’Histoire de l’art et ensuite Sciences Po Paris. À 23 ans j’ai rejoint l’hôtel Drouot, carrefour alors incontournable du marché de l’art. J’y ai dirigé pendant 17 ans le département communication et relations médias. J’étais responsable à la fois de la communication institutionnelle des commissaires-priseurs parisiens et des campagnes de presse internationale des grandes ventes aux enchères. J’ai initié les premières expositions curatées par des personnalités du monde de l’art — de la Chinoise Pearl Lam au français Guillaume Houzé — et j’ai organisé de nombreux événements de relations publiques et caritatives.
Ce monde des ventes aux enchères et des collectionneurs me procurait beaucoup d’adrénaline, mais après toutes ses années, j’ai eu envie d’autre chose. L’univers du mécénat et de la philanthropie privée m’enthousiasmait. En 2008, soutenue par mon mari et avec 2 enfants en bas âge, je décide de quitter le marché de l’art et je fonde ma société en 2009. Je ne viens pas d’une famille d’entrepreneurs. Un des déclencheurs a été surement l’expérience de ma mère qui à 40 ans a résolu de changer de vie pour se consacrer à sa passion : elle s’était remise aux études de l’histoire de l’art.
En 2013, je suis rejointe par une associée, Olivia de Smedt. Notre complémentarité et nos échanges apportent beaucoup à l’agence.
Peux-tu nous parler de tes activités ?
Nous sommes une agence de prod et de contenus culturels. Nous accompagnons plusieurs projets privés de référence du mécénat d’entreprise et de philanthropie. C’est un domaine qui me tient particulièrement à cœur et dont je promeus l’engagement. En tant que professionnelle de la communication et des médias, je dispose d’une expertise et d’un réseau solide que je mets au service de nos clients.
Nous travaillons pour des projets exigeants et incarnés. Nous privilégions des rapports personnalisés, directs et impliqués avec nos clients afin de leur apporter expertise et sincérité. Nous concevons avec eux des stratégies créatives en adéquation avec leur vision, leurs objectifs et leurs valeurs. Grâce à notre expérience du monde de l’entreprise, des marques et de l’écosystème culturel et au soutien d’un réseau actif et prescripteur, nous développons et faisons rayonner leurs projets.
Nous imaginons et pilotons des projets artistiques dans leur globalité. Cela passe par la conception, le sourcing, la direction artistique, les partenariats et la communication. Nous orchestrons la synergie de ressources créatives : commissaires d’exposition, directeurs artistiques, scénographes, artistes, designers, éditeurs, producteurs audiovisuels. Nous organisons des remises de prix, des vernissages et visites privées d’expositions, ou des lancements, soirées, dîners, conversations et conférences pour nos clients. Pour cela nous identifions et coordonnons des prestataires, concevons des contenus, les expériences et performances artistiques. Nous venons justement d’élaborer un événement pour célébrer les 60 ans de la maison de bougies diptyque.
Peux-tu nous donner des exemples qui t’ont marqué ?
Je parlerais de Bernar Venet qui est proche de votre région. Il a fait appel à nous dès l’ouverture de sa fondation pour faire connaître ce lieu hors du commun, et promouvoir les œuvres produites in situ chaque année, les agrandissements du parc de sculptures et les expositions estivales. Cette fondation est l’aboutissement de plus de 50 ans de création artistique et de ses rencontres avec des artistes majeurs, devenus ses amis. Il a transformé en 25 ans sa propriété du Muy dans le Var en une « œuvre d’art totale », un endroit extraordinaire.
En invitant les médias français et internationaux à vivre une expérience inoubliable, nous avons contribué également à faire découvrir une autre facette de lui : celle d’un des plus grands collectionneurs d’art minimal et conceptuel américain. La « Venet Foundation » a d’ailleurs reçu le Prix Montblanc pour la culture. Nous avons également accompagné Bernar Venet pour la communication des deux rétrospectives qui lui étaient dédiées en 2018 au MAC Lyon et au MAMAC de Nice, ainsi que celle de son exposition au Louvre Lens en 2021. Il nous réserve encore beaucoup de surprises avec des projets de grande ampleur dans les prochains mois.
Je citerai aussi la Fondation Bettencourt Schueller et la Fondation d’entreprise Martell avec qui nous nous sommes immergées depuis plusieurs années dans le monde de l’artisanat d’art. Ce sont des métiers merveilleux qui ont beaucoup de points communs avec les artistes.
Quels sont tes futurs challenges ?
Nous devons tout d’abord passer le cap de cette période difficile qui n’en finit pas. La culture n’est pas toujours considérée comme prioritaire dans ces moments de crise alors qu’elle l’est en réalité… Nous nous tournons de plus en plus vers des projets pluridisciplinaires, mêlant musiciens, chorégraphes, artistes contemporains, artisans d’art ou même botanistes. C’est une autre façon de voir le monde à travers ce prisme très éclectique. Je mesure la chance que j’ai de travailler sur des sujets aussi variés et de ne jamais me retrouver dans une routine.
Quelles sont les personnes qui t’inspirent ?
Dans la vie en général je citerai Simone Veil et Élisabeth Badinter. Elles nous ont toutes les deux montré le chemin, en réussissant en tant que femmes dans une société d’hommes. C’est à Simone Veil notamment que l’on doit la loi sur l’IVG, un avancement incroyable qui lui a valu de nombreuses menaces et intimidations. Dans « Vivre avec nos morts », que je viens tout juste de lire, Delphine Horvilleur a consacré un chapitre à Simone Veil et à son amitié avec Marceline Loridan qui m’a beaucoup touchée.
Aurais-tu un livre à nous conseiller ?
« La panthère des neiges » est un ouvrage merveilleux de Sylvain Tesson. Invité par le photographe Vincent Munier, il parcourt le Tibet oriental à la recherche de cet animal. Il apprend l’art de l’affût dans l’hiver et le silence. La tension est présente, car il y a la possibilité que la bête ne se montre pas. Dans notre monde de l’immédiateté, c’est tout l’inverse, l’éloge de l’espoir et de la patience. Nous pouvons passer des heures à attendre quelque chose qui ne viendra peut-être pas. C’est une magnifique référence à la relativité du temps.
En conclusion aurais-tu une devise ou un mantra ?
Je citerai « Soit toi-même, tous les autres sont déjà pris », d’Oscar Wilde. Nous devons nous libérer de toutes ces cases où l’on veut nous mettre. Arrêter d’attendre d’être parfaitement préparées ou de se penser parfaitement légitimes pour entreprendre quelque chose : quand on est passionnée, il faut se lancer sans retenue, une pincée de risque et de culot ne fait pas de mal.
Crédit photo Sylvia Galmot photographe
[Productivité] Sales
Interview de Lara Khanafer, CEO et co-fondatrice de Kara.ai.
By Pascale Caron
Lara a fondé , une startup qui fait partie du « Station F’s Future 40 ». Kara est un outil innovant de productivité basé sur l’IA à destination des Sales et de leurs managers.
Comment t’es-tu lancée dans l’entrepreneuriat ?
Je ne viens pas d’un milieu ou d’une famille d’entrepreneurs. Rien ne me prédestinait à monter une startup dans la tech. Je suis diplômée d’une école de commerce et je n’ai pas de formation d’ingénieur. J’ai commencé ma carrière comme commerciale en Espagne, je m’y suis plu et j’ai très vite grimpé les échelons et managé ma propre équipe. J’ai rejoint par la suite deux startups qui ont connu une très forte croissance. L’une d’elles est même devenue une licorne.
Toutes ces expériences cumulées m’ont fait rencontrer des entrepreneurs charismatiques qui m’ont fascinée. C’est à leur contact que j’ai pu apprendre le métier de chef d’entreprise : je me suis toujours arrangée au bout d’un certain temps pour leur reporter directement. J’ai eu beaucoup de chance, j’en suis consciente, car ils ont non seulement compris ma démarche, mais ils m’ont encouragée et m’ont donné les moyens d’évoluer rapidement dans leurs sociétés. Mon approche intrapreneuriale les a souvent séduits. Très douée dans mon domaine, j’ai su me démarquer en signant de gros contrats et me rendre visible auprès de chacun d’entre eux.
J’ai débuté mon apprentissage au contact du patron de PC-Online, il avait créé une success-story en ne partant de rien. J’ai rejoint ensuite le groupe Aston Carter de chasseurs de tête crée par un personnage qui à l’origine avait choisi cette voie pour s’acheter un jour une Aston Martin ! J’ai pu côtoyer par la suite des ingénieurs que ce soit chez Dataiku ou Toucan Toco. Chacun d’entre eux m’a fait confiance, car ils ont sûrement vu en moi une partie d’eux même.
Une autre source d’inspiration pour moi a été lorsque mon frère et l’un de ses amis, qui sont maintenant mes associés, ont monté leur première société. À peine sortis d’école d’ingénieur ils ont rencontré un grand succès. Je me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose à faire et que ce serait possible.
Comment as-tu eu l’idée de Kara ?
J’ai commencé à travailler en tant que commerciale : j’ai moi-même été managée avant de devoir encadrer des collaborateurs. J’ai pu constater un certain nombre de problèmes. Les dirigeants dans ce domaine sont le plus souvent d’anciens excellents sales qui se retrouvent à devoir gérer une organisation du jour au lendemain, sans être formés ou accompagnés. Le seul logiciel à leur disposition est généralement le CRM (Customer Relationship Management), qui ne permet pas d’avoir un rapport personnel avec les membres de l’équipe et de comprendre quels sont les atouts de chacun. Si un CRM est indispensable, il n’apporte pas la solution à ce problème, car n’est pas un outil de management.
On peut vite avoir des chefs d’équipe dépassés et des commerciaux mal encadrés. On peut arriver au paradoxe où les bons vendeurs décident de quitter la société, car ils croulent sous les lourdeurs administratives, et il ne reste plus que les « médiocres », qui remplissent correctement leur CRM pour ne pas faire de vagues. C’est ce que j’ai pu constater de l’intérieur. Les sales n’ont pas d’outil de management et ce problème c’est exacerbé avec la crise du Covid.
C’est comme cela que l’idée de Kara est née pour permettre aux entreprises d’harmoniser les relations entre les chefs d’équipe et ceux qui sont sur le terrain. Le but est d’évaluer le potentiel et le fonctionnement de chacun, afin de développer une meilleure cohésion de groupe. L’outil est sorti en aout 2021 en Beta test pendant 6 mois. Il est maintenant en production.
Quelles sont les personnes qui t’inspirent ?
Tout d’abord ma famille, mon père et ma tante m’ont permis de me projeter dans le métier de commerciale et ma mère qui s’est installée en libérale.
Bien sûr, tous les entrepreneurs que j’ai croisés, comme Florian Douetteau le CEO de Dataiku, qui m’ont permis de croire en mon aventure entrepreneuriale.
J’ai la chance d’avoir à Station F, des entrepreneuses extraordinaires avec qui échanger au quotidien, partageant mes doutes au jour le jour sans langue de bois.
Dans un tout autre registre je citerai la productrice, animatrice et femme d’affaires Oprah Winfrey, ainsi que Arianna Huffington, cofondatrice du Huffington post. J’ai tout lu de leurs vies, elles sont une grande source d’inspiration pour moi.
Enfin, les membres de notre équipe, qui sont, individuellement et collectivement, d’une richesse rare. Je suis une privilégiée.
Aurais-tu un livre à nous conseiller ?
Je recommanderais « Lean in » de Sheryl Sandberg, « En avant toutes » en Français. Sheryl Sandberg (directrice des opérations de Facebook) a relancé dans le monde entier le débat sur l’égalité homme-femme. Dans son ouvrage, elle propose des conseils pratiques visant à aider les femmes à atteindre leurs ambitions. Elle nous pousse aussi à faire évoluer la discussion : et si nous parlions de ce qu’elles peuvent faire, plutôt que de ce qu’elles ne peuvent pas faire ? Elle a également fondé Leanin.org, une organisation à but non lucratif qui met en place des programmes dont l’objectif est de lutter contre les stéréotypes liés au genre.
Dans un tout autre registre, j’admire énormément l’auteure Maya Angelou : une femme afro-américaine née pendant la ségrégation, mère célibataire qui a eu un fils à 17 ans. Grâce à la littérature, elle a été la première étudiante noire d’une école privée. Elle a commencé à écrire après la mort de Martin Luther King. Quand j’ai lu « Lettre à ma fille », j’ai véritablement cru qu’elle s’adressait directement à moi.
En conclusion aurais-tu une devise ou un mantra ?
« Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions », une phrase qui s’est souvent révélée véridique et « tout ce que l’on croit devient vrai ».
[Femtech] Startup
Interview de Marine Wetzel co-fondatrice de Imana.care.
Marine a fait partie de l’équipe qui a lancé Station F. Elle a ensuite créé le programme d’incubation où elle a accompagné plus de 800 entrepreneurs tech dans tous types d’industries. Elle a été également à l’initiative de la FemTech au sein de Station F, dédié aux startups dans la santé de la femme, et conçu l’initiative FemTech pour le collectif Sista.
Avec Shiraz Mahfoudhi, elle a fondé Imana care, qui offre une solution digitale destinée à aider les femmes souffrant de déséquilibres hormonaux à réduire leurs symptômes de manière holistique.
Elles proposent des programmes personnalisés pour adapter son mode de vie, en fonction de sa pathologie, pour diminuer ses symptômes hormonaux. Ces programmes sont basés sur des études cliniques et conçus avec des médecins et praticiens de santé spécialisés. Ils reposent sur 3 piliers principaux : nutrition, exercice physique et santé mentale. Imana care permet parallèlement aux femmes d’accéder à une communauté de confiance pour qu’elles puissent échanger entre elles, et questionner directement des experts médicaux. Imana care est listée dans les 20 startups prometteuses de 2022 d’Eldorado.co.
Peux-tu nous parler de ton parcours ?
Je viens d’une famille d’entrepreneurs. Je savais au fond de moi que je monterais mon propre business un jour. En dernière année d’étude, j’ai tout d’abord rencontré 3 associés avec qui nous avons fondé une première startup. J’ai dû renoncer au projet au bout de 8 mois. Si sur le papier nous étions complémentaires, j’ai appris que l’association peut être délicate. Au même moment Station F se lançait, ce qui coïncidait avec la fin de mon master Entrepreneur. À l’époque j’avais pour projet de partir en voyage « backpack » avec ma sœur, mais cette opportunité était trop attrayante. Mes années chez Station F ont été une expérience incroyable. Nous avions pour mission de faire rayonner la France en tant que leader de l’innovation et de la Tech dans le monde ! Cette dimension internationale me grisait. C’était une aventure intrapreneuriale, surtout la 1re année, car tout était à construire. J’ai par la suite piloté les programmes d’accompagnement des entrepreneurs que l’on gérait en direct. Au bout de 3 ans, je commençais à avoir des fourmis dans les jambes. Je me passionnais déjà pour les sujets Femtech : un marché qui est estimé à près de 1000 milliards de dollars d’ici 2027 ! J’ai profité de l’écosystème incroyable de station F afin d’interviewer une multitude d’acteurs, et de comprendre comment faire la différence dans cette industrie. J’ai analysé les problématiques, et proposé un programme d’accompagnement pour les Femtechs à Roxanne la directrice. Le concept a séduit et nous avons entamé un premier pilote début 2021. Devant le succès rencontré, le programme a été relancé en septembre dernier et nous faisons maintenant partie des incubées avec Imana care.
Où en êtes-vous dans le développement de votre activité ?
Nous avons démarré en mai 2021 avec une première pathologie : le Syndrome des Ovaires polykystiques (SOPK). Notre ambition est de devenir le compagnon quotidien des femmes afin de les accompagner dans leurs déséquilibres hormonaux. Que ce soit le SOPK, qui touche 10 % des femmes en âge de procréer, ou encore l’endométriose, le syndrome prémenstruel ou la ménopause, il y a beaucoup à faire. On considère donc que toutes les femmes souffrent d’au moins d’une perturbation hormonale à un moment de leur vie. Quand on pense par exemple qu’elles passent en moyenne entre 30 et 40 % de leur existence ménopausée, c’est énorme !
Imana care se base sur des études cliniques ayant montré l’impact du mode de vie dans le cas de la pathologie SOPK. Notre application est conçue avec la collaboration de médecins et d’experts du domaine. Nous avons lancé notre premier produit en « No Code », créé notre premier programme avec un comité de praticiennes de santé, et 37 utilisatrices. Nous voulions prouver que la santé en B2C pouvait intéresser les femmes et mesurer l’efficacité du programme en temps réel : l’essai est transformé. Avec ce premier programme, notre but est de mettre en pratique les résultats de ces études et sortir ces femmes de leur isolement en échangeant sur la plateforme.
Quels sont tes prochains challenges ?
Nos étapes à venir sont d’incorporer un CTO dans l’équipe d’associés, de structurer le board médical constitué pour du long terme et de passer à l’échelle ce que nous avons développé.
Notre vision à terme est de devenir une plateforme de santé référente pour les femmes proposant une approche complète, holistique et communautaire.
Quelles sont les personnes qui t’inspirent ?
La première qui me vient à l’esprit c’est Sheryl Sandberg pour le côté pro, mais aussi perso. C’est une femme d’affaires et une militante féministe américaine incroyable qui a su pousser les portes fermées. Elle est l’actuelle directrice des opérations (COO) de Facebook.
Quand j’étais encore étudiante, j’ai pu assister à une intervention de Ludovic Huraux, le CEO et fondateur de Shapr et également le co-fondateur d’Attractive World. Son discours très inspirant avait résonné en moi, j’avais l’impression de me voir. Il expliquait comment il avait lancé sa 1re boite. À l’époque il avait 1000 idées dont il parlait à ses amis sans passer le pas de l’entrepreneuriat. Je me suis retrouvée dans son parcours. C’est peut-être grâce à son intervention que je me suis lancée même si j’en avais peur : en me disant que si ça ne marche pas j’aurais surtout beaucoup appris.
Aurais-tu un livre à nous conseiller ?
Dans le sujet des Femtechs, je recommande « Femmes invisibles » ; tout au long de cette enquête, Caroline Criado Perez montre que les femmes sont tout simplement absentes de la majorité des études statistiques, au détriment de leur santé et de leur sécurité.
Sinon je pense à « Et soudain la liberté », un roman autobiographique d’Évelyne Pisier, une personnalité incroyable, dont le livre a été terminé par son éditrice suite à son décès. Cette histoire surprenante fait d’elle une réelle héroïne de roman d’aventure. On y croise des personnes aussi célèbres que Fidel Castro ou Bernard Kouchner, et bien d’autres !
En filigrane de ce récit mouvementé, qui débute dans les geôles indochinoises, et se poursuit en France, en Nouvelle-Calédonie, ou à Cuba, se dessine le parcours atypique d’une future militante féministe. C’est un livre que m’avait offert une amie et qui fait maintenant partie de ceux que je recommande le plus !
En conclusion aurais-tu une devise ou un mantra ?
« Le but est dans le chemin ». Le plus important c’est de prendre du plaisir dans son quotidien, plus encore que la finalité ultime.
À méditer