[Corps] Esprit
Interview de Linda Ftouni, Osthéopathe & Poète à Dakar,
par Patricia Cressot
J’ai rencontré, Linda Ftouni, il y a quelques années par un heureux hasard. Ostéopathe, poète en herbe, humaniste, contestataire des inégalités sociales grandissantes dans le monde, elle rêve d’un monde meilleur. J’ai voulu vous la faire connaitre.
Linda, peux-tu nous brosser un tableau de ton parcours ?
Je suis née de deux parents libanais eux-mêmes nés au Sénégal dans les années 50, leurs propres parents étaient immigrés du Liban.
Après la terminale, je suis partie à Paris avec pour objectif de devenir pédiatre et de m’occuper de nouveau-nés. On connait tous le fameux concours de médecine et sa sélection drastique qui m’a obligée à chercher une autre voie. En considérant le métier de sage-femme, je tombe sur un article mentionnant les bienfaits de l’ostéopathie sur le nouveau-né. Ce fut une révélation pour moi. J’ai découvert un univers beaucoup plus large, bien au-delà de mes espérances !
Une fois mes études terminées, je n’imaginais pas élever des enfants à Paris et j’aspirais à retourner vers ce que j’avais connu. Après une étape en Côte d’Ivoire, nous rentrons au Sénégal où nous sommes installés depuis 12 ans.
Qu’est-ce qu’apporte l’ostéopathie au patient ?
L’ostéopathie est une thérapie manuelle reconnue par l’état français. En posant les mains sur les patients, nous sentons les zones qui ont perdu leur mobilité et leur fonction. Grâce aux techniques ostéopathiques, nous redonnons de la mobilité, ce qui permet aux symptômes de diminuer et de disparaitre.
Je travaille en ostéopathie biodynamique, une méthode qui parait très douce de l’extérieur, mais qui est très puissante. Le patient prend conscience qu’il détient en lui toutes les possibilités de guérison. L’ostéopathe « ne remet pas en place » des vertèbres par des manipulations. Je vois chaque jour des êtres qui se rendent compte du miracle qu’est leur corps et c’est extraordinaire !
Qu’est ce que t’a apporté l’ostéopathie ?
Derrière une profession, c’est aussi un art de vivre. Un de mes professeurs disait : « Vous ne pourrez pas être ostéopathe dans votre cabinet et autre chose au-dehors ». Pour ma part, cela s’est vérifié. Observer quotidiennement sous mes mains, ces mécanismes s’agiter pour réparer le corps et l’esprit a construit ma vision du monde, comme une sorte de chemin spirituel. Cela ressemble à des courants d’eau qui circulent dans le corps. De plus, pour que ces mécanismes fonctionnent, je dois être ancrée et cela me demande une manière d’être apaisée au quotidien malgré les grands vents.
L’ostéopathie a donc un impact sur les émotions ?
Tout comme une chute laisse des traces dans les corps, il en est de même pour les émotions. Si elles ne sont pas digérées, elles vont entrainer des adaptations du corps puis des symptômes. Ce qui me touche, c’est de voir cette prise de conscience chez le patient, il réalise soudain que ses émotions sont là, dans cette douleur de côté, dans cette sciatique qu’aucun médicament n’a pu calmer. On plante une graine de compréhension puis il fera son chemin et souvent il en découle une meilleure écoute de ses besoins physiques et émotionnels.
Qu’est-ce qui t’inspire ?
Ma profession et encore ma profession ! Je me rends compte que j’évolue au quotidien au plus près d’un mécanisme qui n’est ni sexiste, ni raciste, ni capitaliste et qui a la grâce d’être écologique ! Les mécanismes « fluidiques » agissent sur tous, quelle que soit la couleur de peau, le genre. Ils ne discriminent pas.
Mon patient est mon horloge, je ne peux m’arrêter que lorsque ces mécanismes arrivent à un point d’équilibre qui signe la fin de la séance, pas de rentabilité possible !
Et il est écologique évidemment, car il n’y a pas de gaspillage, pas de perte d’énergie, le corps a en lui de nombreuses possibilités.
J’ai le sentiment incroyable d’être au plus proche d’une universalité et cela me comble au quotidien. Les patients en tous en commun cette capacité de résilience, qui attend d’être stimulée.
J’ai découvert aussi à travers un autre domaine qui est l’écriture que j’avais une relation particulière à la nature qui m’entoure. Je suis sensible aux détails qui font la joie chaque jour une lumière, un oiseau, ou les couleurs des fleurs. La nature m’inspire des émotions très fortes.
Poète en herbe, d’où est venue cette passion ?
En terminale, une de mes professeurs m’avait poussé à faire des études littéraires. Mon père m’a découragé en y voyant un avenir incertain. Mon appétence pour les sciences et mon envie de soigner ont alors jalonné mon parcours.
Après le décès de ma mère, je me suis mise à écrire et cela ne m’a plus quitté. Ce que j’aime dans la poésie, c’est non pas ce romantisme qui lui est souvent reproché, mais la possibilité des mots à s’engager. J’ai commencé par Baudelaire comme tous adolescents puis Neruda et la révélation est venue avec les poétesses russes, Marina Tsvetaeva et Akhmatova. Je découvre actuellement Chedid et Khoury, un vrai bonheur ! J’aime l’écriture en général, la poésie c’est un peu le cri du cœur.
Si tu pouvais changer quelque chose que ferais-tu ?
Je m’intéresse aux discriminations, quelles qu’elles soient. Je me rends compte que la prise de conscience de ces fléaux que sont le racisme, le sexisme, le manque d’éducation est trop lente dans notre société.
J’écoute de nombreux podcasts, et je lis des essais, mais tout le monde n’a pas accès à ces données. Au Sénégal, la radio est un média sont encore très présent, et ce serait génial d’avoir des émissions de philo, ou littéraires, en Wolof ou en Sérère. Cela permettrait à ceux qui ne peuvent pas aller à l’école de développer un esprit critique en ayant accès à la culture. Moi qui vis ici, la découverte des podcasts, littéraires, politiques ou sociologiques, a changé ma vision du monde. Mes parents n’étaient pas férus d’art et aujourd’hui via tous ces médias disponibles, je m’enrichis et me nourris de ce qui m’a manqué. Qu’est-ce qu’un podcast sinon une autre manière de faire de la radio ?
Dans ma vie personnelle, j’aimerais avec le temps allier ostéopathie et écriture dans mon quotidien, et vivre avec les enfants une nouvelle aventure ailleurs. Pourquoi pas à Paris !
À quoi aspires-tu ?
Sans hésitation, j’aspire à un monde plus juste. Les inégalités sont tellement visibles au Sénégal et dans le monde que cela me perturbe de plus en plus et pas seulement au niveau financier. Aujourd’hui, par exemple, la plupart des femmes incarcérées au Sénégal le sont en raison de leur sexe : les mules qui font passer de la drogue, souvent d’origine étrangère, ne parlent pas la langue et sont utilisées par les trafiquants. L’avortement et les infanticides sont les 2 autres causes d’incarcération des femmes. Les femmes se retrouvent enceintes et abandonnées. Pour la plupart, elles n’ont pas d’éducation et savent à peine ce qu’est une grossesse. Le déshonneur d’être enceinte, les pousse à commettre l’irrémédiable puisque l’avortement n’est pas autorisé. Elles vivent une double peine par mort d’un bébé et leur incarcération. Cela me choque d’autant plus que si l’on ne souhaite pas dépénaliser l’avortement, on pourrait en attendant faire de l’éducation sexuelle. Le Mozambique est devenu le 4e pays d’Afrique à le légaliser, espérons que le recul des droits des femmes partout dans le monde cesse, il faut laisser la place à l’espoir. Mais il viendra aussi avec le militantisme et la révolte.
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