Interview de Johann Bayle magicien conférencier digital et consultant.
By Pascale Caron
La spécialité de Johann ce sont les conférences alliant magie et business. Son approche combine ses trois passions : la magie avec 20 années de pratique, l’art du management, découvert durant ses études à l’école de commerce ESSCA et le développement personnel. Lors de séminaires, ateliers ou team-buildings, il aborde l’intelligence collective, la cohésion d’équipe, l’expérience client, le leadership ou encore la conduite du changement. Ce qui est fascinant, c’est comment le processus créatif du magicien peut favoriser l’innovation en entreprise.
J’ai fait sa connaissance lors du 8 mars 2020, la journée du droit des femmes, à l’occasion de l’événement de La Verrière co-working, le rendez-vous incontournable d’« En voiture Simone ».
Le thème était, « comment se réinventer en temps de crise » et je suis ressortie enthousiasmée par ce cadeau que Valérie Ammirati nous avait offert en organisant cet événement en digital. C’était un vrai défi, car en ces temps digitaux une nième réunion Zoom représentait un sérieux challenge. Pendant 2 heures, je n’ai pas pu détacher mon attention de l’écran, à la fois fascinée comme un enfant devant l’inventivité de Johann, et emballée par les messages qu’il passait. J’en suis ressortie excitée et j’ai eu envie de vous offrir ce cadeau à mon tour.
Qu’est-ce qui t’a amené à devenir magicien-entrepreneur ?
Enfant, j’ai beaucoup déménagé. Fils de préfet, je changeais de ville tous les deux ou trois ans et je devais à chaque fois me faire accepter dans une nouvelle cour de récré. La magie me permettait de briser la glace et de fédérer autour de moi. Au cours d’un déménagement sur l’île de Mayotte, où nous sommes restés trois ans, je me passionne pour David Copperfield. Mon père me propose un marché : lors de ses voyages à Paris, il me rapportera tout le matériel de magie dont j’ai besoin, mais notera toutes les dépenses, à rembourser grâce aux recettes des spectacles. En prenant conscience des montants qu’il m’avançait, j’ai compris qu’il croyait en moi. Cela m’a donné le boost de chercher des clients pour lui rembourser son investissement. De retour en métropole en 2002, je suis décidé à devenir magicien, mais à la condition de sortir diplômé de l’École Supérieure des sciences commerciales d’Angers ! En 2007 je termine mes études et je m’essaye aux spectacles de magie. Je me dis que j’ai peu de chance que ça marche, mais au moins je n’aurais pas de regrets. À ma grande surprise, ça a fonctionné ! Chaque saison venait avec ses événements, mariages, arbres de Noël, soirées de fashionweek ; je me produisais uniquement en tant qu’amuseur. Après chaque spectacle je notais toutes les observations que j’avais relevées lors de la séance, sur les dimensions humaines, car cet aspect me fascinait. Je n’imaginais pas que ces notes seraient plus tard la base de mon futur métier. Au bout de 3 ans, j’étais arrivé à la constatation que vivre de sa passion en faisant toujours la même chose c’est le meilleur moyen de la perdre. Je devais inventer de nouveaux tours de magie et j’ai pensé à une scénographie inspirée du monde du luxe. J’ai commencé avec la marque Hermès sur le thème de la métamorphose : cela a ravivé la flamme de la passion. Lors des lancements presse et dans les zones duty-free des aéroports, je faisais apparaitre des flacons de parfum ou des bijoux pour Bulgari, des bluebox chez Tiffany & Co…
Je me transformais peu à peu en « Magicien anthropologue », car je continuais à noter mes observations dans mon journal. En 2014, j’ai décidé d’utiliser ces notes et de me lancer un nouveau défi afin de nourrir de nouveau ma passion. J’ai envoyé un mail avec le titre suivant à mes contacts « Comment la magie peut inspirer le management ? » et j’ai réservé un lieu à Paris. J’ai envoyé l’invitation comme une bouteille à la mer, à des managers, des leaders, et des commerciaux. Je n’avais pas encore écrit une seule ligne de ma conférence ! Le succès fut tel que l’on m’a sollicité quelques semaines plus tard pour une assemblée de dirigeants. Ce moment a changé ma vie. Quand j’ai vu ces PDG prendre des notes, j’ai réalisé que ce que j’avais appris en tant que magicien pouvait se transposer au business. Petit à petit, j’ai travaillé avec des marques comme L’Oréal qui m’ont demandé une conférence sur le thème de la confiance, Thales sur l’innovation, Nespresso, Air France, Shell… J’ai fonctionné au bouche-à-oreille et chaque nouvelle commande me permettait de créer un nouveau bloc de lego. Au fur et à mesure le magicien observait le contexte de l’entreprise et mon répertoire de legos s’agrandissait jusqu’à atteindre 80 thèmes. Je suis encore aujourd’hui entrain de comprendre ce qui s’est passé pendant 7 ans. Je me voyais comme un troubadour, et je n’imaginais pas que mes observations puissent intéresser des PDGs de sociétés. J’ai constamment testé les limites en me demande jusqu’où mon contenu pouvait être pertinent. Les dernières années j’ai amené les participants à partager leurs « success stories » entre eux. Je me suis nourri de leurs bonnes pratiques de dirigeants pour enrichir mon programme. Et je les repartageais grâce au langage pédagogique de la magie. J’ai alors posé mon costume de magicien et que j’ai endossé celui de « magicien-conférencier ».
2019 a été une année décisive grâce à 3 interventions majeures : quand j’étais en école de commerce, je m’intéressais aux travaux d’Éric Albert et son collectif USIDE. Je l’ai contacté en 2016 et en 2019 il m’a fait intervenir devant 600 cadres du Crédit Agricole. Finalement les participants nous écoutent en fonction du rôle que l’on décide de jouer. On fait « comme si », et on devient. En 2019, tout se passait bien. Je suis intervenu 2 fois au ministère de l’Intérieur. En décembre, j’ai donné ma dernière conférence devant un parterre de 600 entrepreneurs. La longue « standing ovation » que j’ai reçue m’a donné envie de voir encore plus grand. Des salles de milliers de personnes, me semblaient possibles…
Et la crise du COVID est arrivée… synonyme de l’écroulement de ton activité et comment as-tu rebondi ?
J’ai dû me réinventer et faire « apparaître » des concepts 100 % digitaux ! L’objectif est d’aider nos entreprises dans leurs défis actuels : maintenir l’esprit d’équipe à distance, favoriser les idées neuves, prendre la contrainte comme source d’opportunités, ou réenchanter le quotidien. On a bien besoin de magie en ce moment. J’ai pu surmonter le défi de la magie à distance en privilégiant les effets visuels, interactifs, et le « mentalisme ». Pour garder un auditoire captivé en visioconférence, la magie seule ne suffit pas. Mais combinée à d’autres outils pédagogiques (le storytelling, le questionnement stratégique, le jeu, l’expérientiel, etc.), elle permet un niveau d’attention étonnant. Mon prochain événement se fera devant 300 personnes, j’ai atteint les limites de zoom !
Quels sont tes prochains défis ?
J’en ai 4 : mon 1er défi sera d’aider les entreprises à faire revivre des moments de complicités entre équipes avec mes team-buildings magiques. Mon 2e sera de développer mon activité de conférencier-magicien digital auprès des entreprises et du grand public. Le présentiel me manque intensément, ma place est sur scène. J’aimerai tant que les conférences reviennent, mais je sais également que le digital va perdurer : je table donc sur ce qui est certain. Le présentiel finalement deviendra un bonus ou une bonne surprise. Mon 3e, sera d’imaginer des expériences digitales fortes et nouvelles. J’ai souvent le retour « Je ne pensais pas que l’on pouvait ressentir autant de choses en digital ». Le pouvoir de la visualisation aide à ressentir des émotions, et donne l’illusion aux spectateurs d’une relation intimiste.
Penses-tu à internationaliser ton activité ?
C’est déjà le cas, je fais 1 conférence sur 2 en anglais. Les 2 dernières étaient à NYC et Singapour, c’est la puissance d’Internet.
Et au fait ton 4e défi ?
Le 4e est de réussir à trouver la femme de ma vie. C’est un vrai challenge dans ces temps digitaux !
Avis à nos lectrices ! Quelles sont les personnes qui t’inspirent ? J’ai cru comprendre que David Copperfield a été très important pour toi, et que tu as pu le rencontrer.
Oui, quand j’ai rencontré David Copperfield, je lui ai demandé pourquoi il avait autant d’avance sur tous les autres magiciens, depuis 30 ans. Il m’a dit que la raison principale était qu’il ne s’inspirait pas des magiciens. Ses sources d’inspiration venaient du monde du cinéma, du théâtre, des comédies musicales et il les importait dans sa magie.
J’ai suivi son conseil : je m’inspire notamment de Alan Menken, le compositeur des musiques de Dysney. La manière dont il compose et parle de la musique est transposable à la manière de communiquer. De manière générale, tous les conteurs me fascinent : toute personne qui va me raconter une histoire et me captiver, même un chauffeur de taxi ! Et en dernier lieu le monde de la danse : un bon tour de magie s’apparente à une chorégraphie. Même si on « connait le truc » ça reste agréable à regarder. Et j’oublie Steve Jobs, pour de multiples raisons, dont la force de la simplicité « focus and simplify ».
Aurais-tu un livre à nous conseiller ?
Maupassant est mon auteur préféré, je citerai « Bel ami » par exemple : j’admire sa capacité à faire apparaitre des endroits, des images, et des personnages en peu de mots. Il dépeint la nature humaine dans ce qu’elle a d’intemporel. Un autre magicien du verbe c’est Jules Renard avec son journal, si visuel.
En conclusion aurais-tu une devise ou un mantra ?
Je citerai la phrase du père Ceyrac « Tout ce qui n’est pas donné est perdu ». En ces temps bousculés, cela donne envie de donner plus que jamais…
[photo crédit pixabay-leandrodecarvalho]